Vailhé, LETTRES, vol.3, p.541

21 jan 1850 Nîmes, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Il faut être humble à l’égard de tous et surtout à l’égard de Dieu. -Récentes distractions à la messe. -Lorsque Jésus grave sur nous le signe de notre rédemption, il fait de nous, si nous le voulons, autant de sauveurs pour les autres. -Il faut vouloir souffrir et vouloir mourir, car le Christ n’est ressuscité qu’après être mort. -Les conseils spirituels qu’il lui donne, il se les donne d’abord à lui-même. -Ses lâchetés spirituelles. -L’abbé d’Everlange.

Informations générales
  • V3-541
  • 0+674|DCLXXIV
  • Vailhé, LETTRES, vol.3, p.541
Informations détaillées
  • 1 DISTRACTION
    1 HUMILITE
    1 LACHETE
    1 MAITRES
    1 MALADIES
    1 MEMENTO
    1 NOMINATIONS
    1 REDEMPTION
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SAUVEUR
    1 TIERS-ORDRE MASCULIN
    1 VIE SPIRITUELLE
    2 BOYER, DOCTEUR
    2 CABRIERES, ANATOLE DE
    2 EVERLANGE, MARIE-EMMANUEL D'
    2 EVERLANGE, PIERRE-EMILE-LEON D'
    2 JEAN-BAPTISTE, SAINT
    3 CABRIERES
    3 NIMES
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 21 janvier 1850.
  • 21 jan 1850
  • Nîmes,
La lettre

Je veux vous écrire un peu longuement de vous et de moi, ma chère fille, et c’est pour cela que j’emploie le grand papier. Il me semble que j’ai une foule de choses à vous dire. Aussi, après vous avoir remerciée de ce que vous voulez bien, malgré l’ennui que cela vous cause, me rechercher des maîtres et des professeurs, je vais vous parler un peu devant le bon Dieu de ce dont vous me dites quelques mots dans votre lettre. Vous êtes maintenant, me dites-vous, dans des sentiments trop humbles à mon égard pour retomber dans vos sottises précédentes. Ce n’est pas à mon égard seulement qu’il faut être humble, ma chère fille, c’est à l’égard de toute créature, de toute chose et surtout à l’égard de Dieu. Cette vérité, qui m’apparaît sans cesse, me désole, parce que je m’en trouve à mille lieues et que, cependant, je voudrais bien venir à bout de m’y mettre.

J’en ai été surtout frappé hier, jour du Saint Nom de Jésus, et, à ce propos, il faut que je vous conte une de mes distractions. Depuis plusieurs jours, je voulais dire, ce jour-là, la messe à votre intention. Figurez-vous qu’au memento, avec la préoccupation de cette intention, je vous oubliai entièrement et je finis par dire la messe pour moi, à moins que je ne l’eusse réellement promise pour quelqu’un. Comment trouvez-vous cette absence de mémoire? Je vous le dis, afin que vous soyez miséricordieuse pour quelqu’un qui en est là. Je puis vous assurer que, lorsque je reviens à me ressouvenir de ce que j’ai oublié, je me battrais, si je ne croyais meilleur d’offrir à Dieu ces obscurcissements de ma mémoire. Mais j’oubliais de vous dire quelques-unes des réflexions que cette belle fête m’avait suggérées.

Il me semble que le propre de Dieu, c’est de communiquer ses dons d’une manière féconde, en sorte que, lorsqu’il nous communique un bienfait, c’est de telle manière que nous puissions y faire participer d’autres créatures, à notre tour, comme un flambeau allumé à un foyer immense peut servir à allumer d’autres flambeaux, sans perdre la moindre étincelle de son éclat. Or, Jésus en gravant sur nous le signe de notre salut, veut nous donner en quelque sorte la plénitude de la rédemption, en faisant de nous, si nous le voulons, autant de Jésus, c’est-à-dire autant de sauveurs. Et c’est là le propre de sa libéralité qu’en nous donnant la possibilité de continuer son oeuvre, de l’étendre, de la dilater, il nous met à même de lui rendre quelque chose de ce qu’il nous a donné. Je vous avoue que le titre de sauveur, que les chrétiens doivent porter, à leur tour, s’ils ont la plénitude de l’esprit de Jésus, me touche extrêmement, puisque le degré le plus haut de cet esprit, c’est de faire que non seulement ils soient sauvés, mais qu’ils puissent aider au salut des autres. En sorte qu’ils reçoivent, comme le flambeau qu’un autre flambeau allume, la lumière et la chaleur, c’est-à-dire la vérité et la charité, et encore ils aident à les communiquer. Comme Jean-Baptiste, ils ne sont pas la lumière, mais ils sont des lampes, d’autant plus ardentes et brillantes qu’ils participent davantage à l’action rédemptrice du Sauveur.

Vous avez, dans tous les cas, bien raison de vous jeter dans la puissance, la sagesse et l’amour infini de Dieu. Perdez-vous dans cet abîme; c’est le seul moyen de vous retrouver telle que vous devez être. Je me reproche souvent de ne vous y avoir pas assez poussée. Mais puisque la grâce de Notre-Seigneur vous y attire, ne craignez pas d’y céder, malgré la résistance de la pauvre nature qui se débat contre de pareilles immolations. Oui, il faut consentir à sa confusion, et non pas seulement une fois, mais toutes les fois qu’il plaira à Dieu de nous l’envoyer. Puisque, à la fin de vos oraisons, vous sentez le besoin de vous donner à Dieu pour souffrir, je vous engage à n’y pas résister et à prendre, le plus que vous pourrez, cette conclusion pour but de vos prières. Si vous vous y abandonnez, croyez que vous ferez en peu de temps plus de progrès que par toute autre voie. Oui, vouloir souffrir, vouloir mourir, c’est la passion du Sauveur, c’est la première partie de la rédemption, car le Christ n’est ressuscité qu’après être mort, et la voie des chrétiens ne peut être autre que celle de leur modèle.

Vous voyez que je n’attends pas que le mois soit révolu pour revenir sur votre conscience, car, sans que vous m’en parliez, je me permets d’y pénétrer. Mais je dois vous avouer que cela me fait du bien, car je ne vous dis rien que je ne cherche à me dire à moi-même. Est-ce vous qui avez reçu de ma paresse, ou moi qui ai reçu de la vôtre? Ne pouvant nous communiquer nos vertus, nous communiquerions-nous nos défauts? J’ai un remords épouvantable d’être si lâche. Samedi dernier, je voulus dire à Notre-Seigneur que je jetais ma santé entre ses mains et que je voulais aller au plus droit, sans me ménager. Et voilà qu’hier, après une journée assez fatigante, il est vrai, je fus pris d’une assez forte névralgie, qui m’a fait lever seulement à 8 h. 1./2. Notez que j’aurai très bien pu me lever plus tôt, si j’eusse eu la moindre générosité. Me pardonnerez-vous, ma fille, de vous donner tous ces détails? Il me semble que vous ne repousserez pas ce qu’ils ont de honteux pour votre pauvre père, et que vous aurez pour lui cette compassion maternelle, qui, tout en appréciant la faiblesse, relève le courage en rappelant au devoir. Que je vous voudrais pour une une semaine ici à côté de moi, pour me faire vos observations! Vous avez beau être grande dame, par moments, vous savez bien que personne n’a plus que vous le droit de me dicter ce que j’ai à faire, quand il s’agit d’aller à Dieu.

Je ne veux plus vous parler de rien; seulement, dites à Soeur Marie-Emmanuel que son frère est nommé curé à Cabrières(2). Il ne le sait peut-être pas encore. J’ai combattu un moment cette nomination, et, si j’avais tenu ferme, il est certain qu’on ne l’eût pas faite. Je crains que M. Emile ne le prenne mal. Soeur Marie-Emmanuel pourrait lui écrire qu’elle sait que ceux qui y ont consenti ne l’ont voulu que pour son bien. En effet, il sera plus près de Nîmes. Je pourrai le voir plus souvent, supposé qu’il le désire; pendant les vacances, il aura Anatole de Cabrières; il pourra venir prêcher quelquefois à Nîmes, et, s’il le veut, faire partie de notre Tiers-Ordre. A ce propos, je vous ai envoyé les procès-verbaux que vous aviez demandés, par un M. Boyer, que je ne connais pas et qui est le gendre de notre dépensier. C’est un médecin, assez habile, dit-on.

Adieu, ma fille. Il est 11 heures passées et je n’ai pas dit Vêpres.

Notes et post-scriptum
1. D'après une copie. Nous avons omis deux ou trois lignes. [Ces lignes ont été ajoutées d'après T.D.20, p.137 : dans le premier paragraphe, à partir de "Vous êtes maintenant..." jusqu'à "c'est à l'égard" - Avril 1996].
2. L'abbé d'Everlange. Cabrières est un village, de 400 habitants environ, situé à une douzaine de kilomètres de Nîmes, non loin de la route de Remoulins.