Vailhé, LETTRES, vol.3, p.329

1 apr 1848 Nîmes, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Son journal *la Liberté pour tous* a paru, ses deux premiers articles. -Il espère que ses idées politiques lui obtiendront du gouvernement de Paris des garanties d’existence pour sa Congrégation. -Il a une bronchite. -Tristesses qu’il faut accepter pour Dieu. -Election de Germer-Durand au Comité électoral. -Affaiblissement de l’esprit Le recueillement parmi ses religieux. -En ce moment, il vaut mieux vendre qu’acheter.

Informations générales
  • V3-329
  • 0+562|DLXII
  • Vailhé, LETTRES, vol.3, p.329
Informations détaillées
  • 1 ACHAT DE TERRAINS
    1 CLERGE NIMOIS
    1 CONSTITUTIONS DES ASSOMPTIONNISTES
    1 ELECTION
    1 GOUVERNEMENT
    1 MALADIES
    1 MANQUEMENTS A LA VIE RELIGIEUSE
    1 PATERNITE SPIRITUELLE
    1 PRESSE CATHOLIQUE
    1 REMEDES
    1 ROYALISTES
    1 TRISTESSE
    1 VENTES DE TERRAINS
    2 CARNOT, HIPPOLYTE
    2 CUSSE, RENE
    2 GERMER-DURAND, EUGENE
    2 MICHEL, ERNEST
    2 MONTALEMBERT, CHARLES DE
    3 PARIS
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 1er avril 1848.
  • 1 apr 1848
  • Nîmes,
La lettre

J’espère avoir aujourd’hui un peu de temps ma chère fille, pour vous écrire à l’aise et je vous assure qu’il m’en tardait. Vos lettres, si pleines d’intérêt pour moi, m’étaient un remords. Il faut que je commence par vous faire un aveu, que j’avais envie de vous cacher; le journal dont je vous avais parlé a paru, et, j’ai beau m’en défendre, tout le monde me le jette sur le dos. Il est vrai qu’il y a une certaine profession de foi, que l’on a prétendu ne pouvoir être faite que par moi seul, qui m’a, dit-on, trahi, ainsi que le troisième article du même numéro(2). Je vous l’envoie, afin que vous puissiez en juger. Le second article est aussi très significatif et constate contre Paris une disposition, qui est universelle dans les départements. Il faudra que l’on finisse par en tenir compte.

La candidature de Montalembert est ici entièrement abandonnée. Pour ma part, je refuse tant que je puis et je crois que certains légitimistes qui m’auraient accepté me repousseraient à présent.

Je me demande quel sera l’effet de cette publication sur la maison. Il y aura des parents mécontents, qui voudront retirer leurs enfants. Mais où les mettront-ils? Par le temps qui court, je ne pense pas que personne veuille trop écarter ses fils ni veuille mettre de l’argent à former des maisons nouvelles. Et, d’autre part, pourquoi ne pas profiter d’opinions qu’on a au fond du coeur, pour se donner des garanties d’existence aux yeux du gouvernement? Ceci rentre tout à fait dans les projets que vous me dites avoir pour vous et pour moi. J’y donne entièrement les mains. Mais n’auriez-vous pas besoin de quelques règles pour notre Congrégation d’hommes? Si vous désiriez quelque chose à cet égard, je pourrais réunir mes notes. Du reste, je m’en rapporterai entièrement à vous, vous le savez bien.

Mon médecin prétend que j’ai une bronchite et m’ordonne des pilules de soufre. Je ne sais quel effet cela produira.

Vous me sentez donc toujours votre père. Vous ne pouvez croire quelle joie me cause cette assurance. Quant à la tristesse qui vient toujours en travers, peut-être Dieu la veut-il; et, pour ma part, quoique je ne pense pas qu’il la faille accepter de votre part, je l’accepte chez vous comme une mortification pour moi. Si j’osais faire une comparaison, je vous dirais que je viens d’être interrompu par un bon paysan, dont nous avons fait un domestique. Ce bon garçon, sous une forme grossière, est fort intelligent, mais il a des tristesses et, à certaines époques, il vient me dire tous les deux ou trois jours qu’il est complètement découragé et me demande si, moi aussi, je ne veux pas le renvoyer. Comme je lui suis fort attaché, je le remonte un peu, je le gronde, je l’encourage; il s’en va content pour recommencer bientôt. Avec toutes les différences possibles, n’en seriez-vous pas un peu là? C’est un mal qui se guérira par une immense patience que vous exercerez sur vous et sur moi.

Le 2 avril.

J’ai été interrompu trois fois et ma lettre n’a pu partir hier. Aujourd’hui, je veux vous dire seulement: 1° que le clergé s’épouvante de notre journal; 2° que le Comité électoral catholique a élu M. Durand, pour prendre part à ses séances, à l’unanimité moins une voix. Ce fait me semble prodigieux. Pour les Nîmois il montre, d’une part, combien est déplorable l’esprit du clergé, de l’autre, quelle sorte de travail se fait chez les légitimistes intelligents.

Je crois que le jeune homme dont vous me parlez ne doit être retenu par vous pour m’être envoyé qu’autant que vous le croirez réellement capable de mener une étude un peu difficile, celle de la seconde division. Mais tous les jeunes gens qui auront quelque capacité et que pourra vous adresser M. Michel ou tout autre de vos amis, envoyez-les moi.

Je vous avoue que je travaille, en ce moment, avec un peu de peine à obtenir un peu de recueillement parmi nos religieux. Il y a affaiblissement chez quelques-uns, et probablement je serai contraint d’écarter M. Cusse. Ce sera un dur parti, mais il me semble que je ne pourrai pas reculer, à moins d’un complet amendement. Il est toujours très vrai que, tant que nous n’aurons pas nos lieux réguliers entièrement séparés, nous ne pourrons rien faire de bien religieux, et, sous ce rapport, je gémis sur la nécessité de suspendre tout projet de bâtir, puisque, en restant comme nous sommes, il nous est impossible d’opérer des séparations utiles.

Je ne vous ai pas encore parlé de la vente de votre maison et dit combien je crains que vous ne fassiez une mauvaise affaire, à cause de moi. Examinez, ma chère enfant, si votre bonne volonté de m’être utile ne vous entraînera pas trop loin. Si vous croyez devoir vendre, je vous le répète, j’accepterai des bons du trésor et des billets de banque. Il faut bien que l’on s’en contente ici où l’argent s’enterre. Toutefois, ce qui m’ôte un peu mes scrupules d’accepter votre projet de vente, c’est qu’il est bien possible que le prix des terrains ne vienne encore à baisser, et qu’il faut peut-être profiter du moment. Si j’ai un conseil à vous donner, c’est de ne rien acheter.

Adieu, chère enfant. Que Dieu vous soit un appui! Je le prie toujours bien pour vous et suis toujours vôtre, avec une plénitude de coeur qui brave toutes vos tristesses.

Notes et post-scriptum
1. D'après une copie. Voir *Notes et Documents*, t. IV, p. 146 sq. 156, 340 sq.1. D'après une copie. Voir *Notes et Documents*, t. IV, p. 146 sq. 156, 340 sq.
2. Le journal *la Liberté pour tous *parut, pour la première fois, le mardi 21 mars 1848; il se publiait trois fois par semaine, les mardi, jeudi et samedi, sous la direction de Germer-Durand. La profession de foi, visée par le P. d'Alzon, fut publiée dans le numéro 5, le jeudi 30 mars, sous le titre: "*Ce que nous sommes*"; le troisième article de ce numéro, qui n'a pas de titre, vise une circulaire du ministre Carnot contre les voeux de religion.