- V3-304
- 0+547|DXLVII
- Vailhé, LETTRES, vol.3, p.304
- 1 CARACTERE
1 CRAINTE
1 EDUCATION
1 EFFORT
1 ENERGIE
1 EXAMENS SCOLAIRES
1 MAITRES
1 PARENTS D'ELEVES
1 PARESSE
1 PREFET DES ETUDES
1 PRESSE
1 RAPPORTS ANNUELS
1 TRAVAUX SCOLAIRES
1 UNIVERSITES D'ETAT
2 GERMER-DURAND, EUGENE
2 VACHEROT, ETIENNE - AU PERE D'UN ELEVE (1).
- COLLEGE de l'Assomption
- le 22 novembre 1847.
- 22 nov 1847
- Nîmes,
Monsieur,
Je me hâte de répondre aux observations que vous avez bien voulu me transmettre sur notre projet de publier le rapport fait par le préfet des études à la suite de nos examens trimestriels. Je vous remercie de me demander ces renseignements, puisque ma pensée n’a pas été bien comprise: de pareilles explications sont toujours faciles à donner.
Permettez-moi d’établir d’abord quelques idées fondamentales dans notre plan d’éducation.
1° Nous tenons avant tout à fortifier le caractère de nos élèves et à développer en eux une grande énergie morale. La publicité est une des meilleures épreuves pour obtenir ce résultat.
2° Tout homme qui, de nos jours, n’a pas pris d’avance la résolution de passer sa vie dans une complète solitude, doit s’attendre, dès qu’il fera un pas au dehors du seuil de sa maison, à subir les conséquences de la publicité; d’où je conclus qu’il importe, aujourd’hui plus que jamais, d’aguerrir les enfants aux inconvénients et aux avantages des jugements du public.
3° Il faut, pour former les enfants, se servir des moyens mis à notre disposition. Le plus puissant, après les idées religieuses, c’est l’honneur; et rien n’est propre à l’inspirer comme la publicité, qui en est un des principaux mobiles.
Reste à user d’un levier si puissant de façon à éviter certains inconvénients qu’il présente. Y avons-nous réussi? C’est ce que je veux examiner avec vous. On craint, dit-on, que dans ce rapport ne soient proclamés des vols légers, transformés en graves délits, les défauts contre les moeurs, et que, par là, les élèves ne soient diffamés pour toute leur vie.
Si la personne qu’effraye notre projet avait connu le programme publié par nous, il y a trois ans, elle aurait appris que notre action sur les élèves s’exerce: 1° par un préfet de discipline, chef des surveillants; 2° par un préfet des études, chef du corps des professeurs; que tout ce qui concerne la conduite est confié au préfet de discipline, que ce qui concerne le travail est l’unique domaine du préfet des études. En annonçant un rapport du préfet des études, j’indiquais assez qu’il ne s’agissait de rien qui eût trait à la conduite. Je dis que ce rapport sera fait à la suite des examens. Des examens, présidés par un préfet des études, tendent en général à constater autre chose que des vols et des fautes contre les moeurs.
Qu’on se rassure donc sur ce point. Ce que nous voulons attaquer directement, c’est la paresse. Nous l’avouons, notre résolution est irrévocablement prise contre ce vilain défaut, et voici comment nous procéderons. Les élèves examinés forment quatre catégories: les bons, les médiocres, les élèves faibles par défaut d’intelligence, les élèves faibles, quoique intelligents, mais paresseux. Nous ne désignerons par une note de blâme que ces derniers; les autres, ou seront cités avec honneur, ou [seront] passés sous silence. Mais, dit-on, les élèves blâmés trouveront le procédé peu agréable. C’est précisément ce que nous voulons. La conséquence sera, ou qu’ils se mettront sérieusement au travail, ou qu’ils se retireront d’eux-mêmes, s’ils trouvent la mesure trop sévère. Nous en serons débarrassés, sans avoir eu la peine de les mettre à la porte; les études en marcheront mieux, et les résultats obtenus dans des classes, d’où la portion inférieure se sera détachée, assureront la réputation, et de l’établissement, et des élèves qui auront su s’y maintenir à un rang honorable.
Permettez-moi une comparaison. Qu’est-ce qui a fait la gloire de l’Ecole polytechnique? N’est-ce pas la difficulté d’y être admis et d’en sortir avec un bon numéro? Dans un autre genre, les difficultés que l’on trouvera ici formeront comme une des conditions de nos succès. Avoir subi les épreuves de notre éducation sera un titre de recommandation auprès des hommes honnêtes et distingués, et ceci est bien quelque chose.
N’êtes-vous pas fatigué comme moi, Monsieur, par la vue de tous ces hommes médiocres, qui ne semblent créés et mis au monde que pour user leur chaussure contre le pavé des rues? Cette lèpre de la médiocrité, disons mieux, de la nullité, car c’est le mot, j’en voudrais préserver nos élèves. Pour y parvenir, il faut exciter leur émulation, réveiller en eux l’idée de l’honneur. Encore une fois, je ne trouve rien de mieux pour cela que la publicité appliquée à leur travail, avec toutes les précautions que je vous indiquais plus haut. Il faut que nous placions les élèves qui sont confiés à nos soins sur le seuil de toutes les carrières honorables, munis de toutes les conditions nécessaires pour n’y faillir jamais. Les essais que nous leur faisons faire leur apprendront à estimer à l’avance le prix d’une bonne réputation.
Je m’attends à une objection. On dira que le défaut de succès ne vient pas toujours des élèves, qu’il dépend aussi quelquefois du professeur. Qu’en conclure? Que le professeur, s’il le mérite, doit être blâmé. Nous acceptons cette conséquence. Nous reconnaissons qu’il peut se présenter telles circonstances où, la classe entière étant faible, le rapport fera ressortir une négligence qui n’est pas le fait des élèves seuls. Mais quoi? Les parents auront-ils à se plaindre, si nous nous exposons volontairement à ce que le rapport se retourne contre nous et contre les maîtres à qui nous avons confié l’enseignement? Pour qui réfléchit un peu, il faut voir dans une mesure envisagée ainsi l’obligation contractée par les directeurs de donner toute la force possible aux études, et pour les professeurs un aiguillon, dont ils devront sentir la pointe tout aussi bien que leurs élèves. Convenez, Monsieur, que, lorsqu’on se fait à soi-même de pareilles conditions, on a dû envisager les devoirs de l’éducation avec un sentiment de conscience qui donne bien quelques garanties à notre prétendue sévérité.
Et pourtant, nous ne saurions nous le dissimuler, quelques parents ne nous comprendront pas. Hélas! oserais-je vous dire, à vous, Monsieur, dont le concours complet nous est acquis, que le plus grand obstacle à l’éducation des enfants, pour les trois quarts d’entre eux, se trouve dans leurs parents? Est-ce chez ceux-ci tendresse mal entendue, idées fausses, jugement rétréci, insouciance? Je l’ignore. Mais le fait est incontestable pour les personnes qui se sont occupées pendant huit jours d’éducation pratique. Eh bien! puisqu’il faut tout avouer, c’est aussi pour ces parents que l’idée du rapport a été conçue. Ou ils ne nous confieront pas leurs enfants, et nous n’aurons pas la douleur de voir nos efforts paralysés par eux; ou eux-mêmes, forcés qu’ils seront pendant les années de collège à communiquer de l’énergie à leurs fils, apprendront encore ce qui leur est imposé pour guider ces mêmes enfants devenus jeunes hommes.
En résumé, à l’aide de ce rapport si redouté, l’ensemble de la maison s’élèvera par l’effet d’une crainte honorable; le travail, devenu plus consciencieux, en attirant les préoccupations de nos jeunes têtes, les débarrassera de beaucoup d’autres idées, et facilitera à plusieurs l’entrée de carrières difficiles; enfin, la crainte de la censure publique, contractée de bonne heure, formera chez nos élèves des habitudes de virilité dont ils se trouveront bien tout le reste de leur vie.
Je désire, Monsieur, que ces explications conviennent à la personne qui vous questionnait sur notre maison. Je lui dois à elle aussi des remerciements, puisqu’elle me procure l’honneur de vous offrir l’expression de mes sentiments respectueux.
E. d’Alzon.
P.-S. J’apprends à l’instant même que l’idée de mon rapport a été adoptée pour l’Ecole normale supérieure. Les journaux de l’Université publient sur cette Ecole un compte-rendu de M. Vacherot, directeur des études, bien autrement sévère que ne le sera jamais le nôtre.
E.D'ALZON