Vailhé, LETTRES, vol.3, p.219

16 mar 1847 Nîmes, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Il a fait à Dieu le sacrifice de ses misères. -Quelques nouvelles. -Ferveur de ses novices. -Le plan de son collège. -A propos de vocations. -Offre d’argent. -Elle doit s’appuyer sur lui par l’obéissance et la confiance.

Informations générales
  • V3-219
  • 0+516|DXVI
  • Vailhé, LETTRES, vol.3, p.219
Informations détaillées
  • 1 ADORATION DU SAINT-SACREMENT
    1 BATIMENTS DES COLLEGES
    1 CAREME
    1 ENSEIGNEMENT DU DESSIN
    1 FONDATION D'UN INSTITUT RELIGIEUX
    1 JEUNE CORPOREL
    1 MALADIES
    1 MORT DE JESUS-CHRIST
    1 NOVICIAT
    1 ORAISON
    1 PENITENCES
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 SOUFFRANCES DE JESUS-CHRIST
    1 VENTES DE TERRAINS
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    1 VOEU D'OBEISSANCE
    2 BOYER, MADAME EDOUARD
    2 DAVID, MONSIEUR
    2 IMLE, HENRI-JOSEPH
    2 JANDEL, VINCENT
    3 MIDI
    3 NIMES
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 16 mars 1847.
  • 16 mar 1847
  • Nîmes,
La lettre

Je vous remercie ma chère enfant, de la bonne lettre que vous m’avez adressée le 11 et que j’ai reçue hier. Elle m’a fait un peu rougir de toutes les sottes idées que je vous avais laissé découvrir au fond de mon âme, quoique je sois bien aise que vous sachiez où en est votre pauvre père. Cependant, depuis avant-hier, j’avais fait à Dieu un sacrifice absolu de toutes les misères qui m’écrasaient, et j’en avais retiré un peu de force et de courage pour avancer, vouloir et aimer tout ce qu’il y a de pénible dans toutes ces tristes luttes de la nature. Aussi, viens-je de parler à mes novices sur la nécessité de prouver à Dieu son amour par l’acceptation de la souffrance, avec une assez grande conviction.

Vous ai-je dit que, pendant le Carême, je leur parle quatre ou cinq fois par semaine? Il est vrai que c’est à l’heure de la méditation, mais nous n’avons guère d’autre heure pour être seuls et réunis. Je recommande, tant que je puis, que l’on fasse ensuite des adorations du Saint-Sacrement un peu plus longues. Il me paraît que l’on profite assez de ces avis. J’ai oublié -et je vous demande pardon de cette digression- de vous dire que Mme Boyer me donne des inquiétudes pour sa poitrine; elle est très souffrante. Depuis longtemps, cette existence est si frêle qu’il me paraît bien difficile qu’elle puisse résister à tous les ébranlements de son imagination. Ce que vous me dites du P. Jeandel me plaît beaucoup. Ne pourrais-je pas l’avoir pour donner une retraite à mes enfants? Il me semble que son costume seul leur ferait beaucoup de bien.

Vous avez tort de croire que nous fassions beaucoup d’austérités. Cela nous serait impossible. Sept à huit des nôtres ont demandé à faire maigre tout le Carême; trois ou quatre ont été forcés de faire gras. Mais il y a réellement trop d’ouvrage parmi nous pour qu’on puisse exiger des choses extraordinaires. Un seul couche sur les planches, et encore ne le lui ai-je permis que parce que j’ai vu qu’il était l’un des moins chargés. Voilà le bon M. David qui entre, et il me rappelle que je vais être forcé de le renvoyer. Non seulement il n’a pas d’instruction, mais, avec la manie de l’étude, il est dans l’incapacité d’étudier et est complètement dépourvu de tact.

Je vous remercie de vous occuper du plan de notre maison. Remarquez que j’ai laissé un espace immense pour la bibliothèque et que ma pensée est d’y faire toutes les pièces régulières. Le Chapitre peut sans aucune difficulté être supprimé à l’endroit où vous ne le voulez pas. Forcés de nous restreindre et d’abandonner le premier plan, j’ai cherché à rendre les religieux indépendants, et c’est pour cela que je les ai mis au second. J’ai voulu leur donner une bonne exposition, et c’est pour cela que j’ai mis les pièces de l’administration et les salles d’étude au Midi. Puis, du moment que l’on veut faire un noviciat ailleurs, remarquez qu’il n’est plus nécessaire de séparer autant les maîtres.

Je vous remercie également de tout ce que vous faites pour me trouver des sujets. Je suis sûr que vous en trouverez, si vous le voulez bien. Vous savez bien que vous avez la conviction de pouvoir tout ce que vous voulez. Je suis enchanté que vous approuviez le parti que j’ai pris de demander quatre ans d’épreuve chez les Frères au jeune homme dont vous me parlez. Quant au Strasbourgeois, puisque M. Imlé me le recommande, ce sera sûrement quelque chose de bien. Si ce que je vous ai dit pour les honoraires est trop peu, vous pourrez augmenter, quoique je sente la nécessité d’économiser. Est-ce que M. Imlé ne me procurera jamais un maître de dessin? Je voudrais qu’il me le trouvât d’ici à dix-huit mois. Je reviens sur ce que je vous disais du P. Jeandel. Ces messieurs ont besoin d’être connus, et leur apparition dans le Midi ne peut que leur être utile. Je suis sûr qu’il y aura avantage à ce qu’il nous arrive et qu’il vienne prendre pied à Nîmes.

Vous avez bien raison, il est pénible de fonder. Mais puisque nous avons mis la main à l’oeuvre, il faut nous souvenir de la condition de tout fondateur: Euntes ibant et flebant mittentes semina sua(2). Ce doit être aussi la nôtre, quoi qu’il doive nous en coûter. Ainsi ne regardons plus en arrière, mais voyons ce qui est devant. C’est après tout Jésus-Christ avec sa force et son amour, et c’est bien assez.

Vous aussi, vous allez donc vendre? Vous ne croyez pas devoir attendre que votre terrain s’élève à 300 francs? Qu’est-ce qu’une année de souffrance? Voyez. Si, l’année prochaine, vous avez la certitude morale de pouvoir vendre à cent écus, peut-être pourrai-je vous prêter, d’ici à peu de temps, une vingtaine de mille francs, mais à la condition que l’année prochaine vous me rendriez les 30,000 francs que je vous ai procurés. Si cette combinaison vous allait, je vous engagerais à attendre quelques jours, afin que je puisse vous donner une réponse définitive. Je vous quitte pour aller dire la messe pour vous.

En me plaçant dans la disposition où je crois que Notre-Seigneur veut que je sois par rapport à vous, je vous conjure de vous appuyer sur moi par l’obéissance et la confiance. Il est très vrai que Dieu n’a pas voulu nous rapprocher pour rien. Nous devrons donc profiter des moyens qu’il nous donne et lorsque ces moyens répugnent à notre nature, nous devons surmonter la répugnance pour aller au delà. Soyez donc soumise puisque Dieu le veut, et profitez de cet état de soumission pour acquérir la confiance, la liberté souple qui en sont la conséquence. Puis, encore une fois, usez de votre puissance de vouloir pour vouloir être sainte, et, si vous voulez quelque chose de particulier, entrez autant qu’il dépendra de vous, pendant ce temps de la Passion et jusqu’à Pâques, dans la perfection intérieure des souffrances de Jésus-Christ; placez-vous entre Jésus et Marie, l’un et l’autre immobiles au Calvaire, et, dans cette immobilité, contenant dans leur coeur toute la perfection qui peut se trouver dans le coeur d’un Dieu et dans le coeur de la plus sainte des créatures.

Je prierai de tout mon coeur pour vos postulantes. Adieu, ma chère enfant. Tout à vous. Rappelez-moi au souvenir de vos filles.

Notes et post-scriptum
1. D'après une copie.2. *Ps.* CXXV, 6.