Vailhé, LETTRES, vol.3, p.183

18 jan 1847 Nîmes, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Réponses à diverses questions. -Examens des petits élèves. -Le futur plan du collège. -Budget de l’année en cours. -Il faut augmenter le prix de la pension et n’accepter peut-être que des internes. -Le préfet lui propose d’acheter le terrain du collège. Nombreuses sommes qu’il doit payer d’ici à quelques jours. -Pour elle, il serait préférable de ne pas s’en aller de Chaillot. Il ne peut encore quitter Nîmes pour Paris. -Il doute de trouver des vocations dans la capitale.

Informations générales
  • V3-183
  • 0+505|DV
  • Vailhé, LETTRES, vol.3, p.183
Informations détaillées
  • 1 BATIMENTS DES COLLEGES
    1 BUDGET ANNUEL
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CREANCES A PAYER
    1 EXAMENS SCOLAIRES
    1 PENSIONNAIRES
    1 PENSIONS
    1 PENSIONS SCOLAIRES
    1 RESSOURCES FINANCIERES
    1 VENTES DE TERRAINS
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    2 AFFRE, DENIS
    2 BEILING, MARIE-LOUISE
    2 CHARPENTIER
    2 DARCY, HUGUES-IENA
    2 GERMER-DURAND, EUGENE
    2 GOUBIER, VITAL-GUSTAVE
    2 LACORDAIRE, HENRI
    2 ROUX, MADAME
    2 TISSOT, PAUL-ELPHEGE
    3 MIDI
    3 NIMES
    3 PARIS
    3 PARIS, CHAILLOT
    3 PARIS, FAUBOURG SAINT-GERMAIN
    3 PARIS, RUE DE NOTRE-DAME DES CHAMPS
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS(1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 18 janvier 1847.
  • 18 jan 1847
  • Nîmes,
La lettre

C’est au milieu d’un examen d’histoire que je commence ma lettre, ma chère fille. Je vais commencer par répondre à quelques-unes de vos questions les moins importantes.

1° Je vous ferai faire un rapport sur l’enseignement de la septième et de la huitième. J’ai commencé les examens de cette dernière classe, ce matin; je les continuerai demain. Nos 26 ou 27 petits morveux ont déjà montré, à l’exception de quatre ou cinq, une supériorité d’intelligence qui m’étonne. Seulement, je crains que le bon M. Tissot n’ait pas assez de persévérance; mais le professeur de septième, qui est un homme très remarquable, rectifiera, je l’espère, les imperfections du premier enseignement. Du reste, ce que je redoute peut être corrigé par l’energie de M. Durand, qui, par son calme et son inflexible fermeté, saura soutenir ce pauvre homme. Toutefois, on ne peut se dissimuler qu’il n’ait obtenu beaucoup déjà.

2° J’ai vu Mme Roux, qui se propose d’aller à Paris sous quatre ou cinq jours. Jamais je ne vis rien de plus exalté ni de plus déraisonnable, mais je suis sûr que vous en viendrez à bout sans aucune peine par votre gracieuseté.

3° Vous avez très bien fait d’adresser le jeune bijoutier à M. Lacordaire; je vous en remercie.

4° Ce que vous me dites du plan de M. Charpentier me fait un grand plaisir. J’étais tout à fait de votre avis et je crois que l’ogive ira beaucoup mieux et peut-être coûtera moins. Mais il faut que je m’arrête. Je reprendrai dans un moment pour vous parler de l’étendue que devrait avoir le bâtiment, de la quantité d’élèves que nous admettrons un jour, du prix de la pension, de l’emplacement du futur collège à Nîmes; puis, j’essayerai de répondre à ce que vous me dites sur ma future venue à Paris; enfin, je vous parlerai un peu de vous. Cela dit, j’écoute une dissertation sur les pastoureaux.

20 janvier.

Le plan que vous a soumis M. Charpentier est très beau en un sens, et, dans un autre, très commode. Aussi, quand même on changerait le style de l’architecture, je maintiens qu’il faut conserver les grandes divisions. Seulement, les proportions ne peuvent-elles pas être réduites? Si nous persévérons dans l’idée qu’il faut avoir plutôt des élèves bons que nombreux, je ne pense pas qu’il soit possible d’aller au delà de 200 élèves. Or, le plan était pour 360. N’est-ce pas exorbitant? C’est, je le sais bien, le chiffre atteint dans plusieurs pensionnats des Frères des Ecoles chrétiennes; mais dans le diocèse nous avons un Petit Séminaire, une maîtrise, un collège industriel, tous dirigés par des prêtres et où les enfants sont admis pour 400 francs. Ces maisons, naturellement, attireront beaucoup de fortunes médiocres, qui ne peuvent payer un prix de pension trop élevé. D’autre part, il m’est évident que, cette année, avec mon budget estimatif, j’ai un déficit encore assez considérable. En voici un aperçu:

Pension des internes………………………54,000 francs

Pension des demi-pensionnaires………………8,000

Pension des externes……………………….3,000

Profits sur les fourniturrs…………………4,000

Frais fournis par les parents pour la literie…3,000

Total:…………………………………..72,000 francs

Traitement des professeurs…………………26,000 francs

Nourriture……………………………….26,000

Mobilier en augmentation…………………..10,000

Intérêts…………………………………12,000

Dépenses imprévues…………………………6,000

Total:…………………………………..80,000 francs

Total des recettes:……………………….72,000 francs

Total des dépenses:……………………….80,000 francs

Déficit:………………………………….8,000 francs

Il est très vrai que j’ai enflé certaines dépenses, mais vous savez qu’il est toujours pénible d’avoir à défalquer de ses espérances, et j’aime mieux exagérer un mal qu’un bien(2). Au reste, il y a une foule de petites dépenses que l’on ne prévoit pas et qui vous tombent sur le dos au moment où vous y pensez le moins. En résumé, il est évident que les calculs que M. l’abbé Goubier avait faits étaient beaucoup trop avantageux pour être vrais. L’expérience m’apprend à ne me fier qu’à moi en ces choses-là. Or, si nous limitons le nombre des élèves, il est évident que, pour nous tirer d’affaire, il faut augmenter le prix de la pension. Mais quel prix fixer? Nous ne pouvons prendre le taux de Paris; ce serait vouloir détourner presque tous les parents de Nîmes de nous donner leurs enfants. D’autre part, la pensée d’avoir leurs fils séparés des enfants de bouchers et de cordonniers engagera très certainement un certain nombre de négociants à choisir l’Assomption. On prétend que la possibilité de dire: « Mon fils me coûte mille écus par an« , est pour ces Messieurs une valeur tout comme une autre. M. Goubier jette les hauts cris, quand il est question d’augmenter le prix de la pension, mais il faut en arriver là de toute force. D’autre part encore, quelle augmentation faut-il fixer? Les uns disent que 800 francs seraient un bon prix. J’aurais bonne envie de pousser jusqu’à 1000 francs, mais nous nous chargerions de la fourniture des livres. Je voudrais également pouvoir exclure les externes, ce qui ne serait pas une grande perte. La place qu’ils occupent, les surveillants qu’ils exigent absorbent une partie énorme des bénéfices. En résumé, ils ne nous donnent que quatre ou cinq mille francs et sont pour nous une cause perpétuelle de désordre.

Je n’admettrais de demi-pensionnaires que jusqu’à douze ans; au-dessus, tous seraient pensionnaires internes. D’après ce calcul, le nombre des élèves diminuerait très certainement, mais nous ne serions pas obligés de bâtir pour l’année prochaine, et ce serait quelque chose.

Vous ai-je écrit que le préfet m’a fait demander si je voulais lui vendre le terrain que j’occupe pour une préfecture? Je lui ai fait répondre: 1° que je le destinais à une communauté religieuse de Carmélites et que, en étant le supérieur, je ne spéculerais pas sur elles; 2° que, s’il en avait envie, je le lui céderais, pourvu qu’il m’en donnât un prix raisonnable; 3° que je le priais de ne pas mettre entre lui et moi un individu, que nous connaissions tous deux, parce qu’il prélèverait sûrement un gros bénéfice sur l’un et l’autre, et que tout autant valait-il traiter sans intermédiaire. Je présume tirer au moins 200,000 francs, ce qui me ferait rentrer dans mes avances.

Où irez-vous donc vous loger? me direz-vous. Il me semble qu’il y a, aux portes de Nîmes, un terrain très favorable. La vue y est aussi belle qu’elle peut l’être à Nîmes. Quand j’aurai de l’argent, je pourrai sans difficulté m’étendre du côté du Midi. Je n’ai pas à craindre qu’on vienne me borner la vue de ce côté.

Ma plume éprouve des impatiences à vous écrire toutes ces choses, que j’aurais tant de plaisir à vous dire pour discuter le pour et le contre. Je crois avoir parlé assez longuement de ma maison à Nîmes. Je vais vous parler de la vôtre et de la possibilité de m’en rapprocher. D’abord, jugez si je puis vous envoyer 4,000 francs. Par un de ces coups qui n’arrivent qu’à moi, j’ai eu ou j’ai à payer, d’ici à quinze jours, 50,000 francs. J’ai été prévenu, pour 19,000 francs, quinze jours à l’avance seulement; et, pour 18,000, une personne, à qui je les prenais pour lui rendre service, m’a prévenu quatre jours à l’avance qu’elle ne pouvait me les compter. Ce n’est qu’un mouvement de fonds, mais un mouvement qui m’oblige à faire bien d’ennuyeuses démarches et m’empêche de rendre service aux gens à qui j’aurais le plus d’envie de faire quelque plaisir.

Que vous dire maintenant de ce qui vous concerne, ma chère fille? Il me semble que, puisqu’on vous offre de l’argent, vous pouvez accepter le marché qu’on vous propose. Mais je suis parfaitement de votre avis, il ne faut pas aller vous placer en face du Sacré-Coeur. Si le faubourg Saint-Germain vous arrive, il vaut bien mieux qu’il ne soit pas gêné par le voisinage. De plus, il ne faut [pas] trop l’encourager, de peur que la classe à laquelle nous voulons surtout nous adresser…(3) Aussi, je suis entièrement de votre avis, il ne faut pas quitter Chaillot ou les alentours.

La question de mon établissement ne doit nullement vous arrêter, parce que je présume qu’il serait facile de faire comprendre à l’archevêque de Paris les avantages d’une translation, puisque les terrains de la rue Notre-Dame des Champs ont considérablement augmenté de valeur. Pour moi, je crois qu’il est très important de placer des centres d’instruction là où il n’y en a pas encore. Le tout serait que je pense m’assurer un emplacement de ces côtés[là], avant que leur valeur n’eût trop considérablement augmenté. Aussi, si vous voulez acheter à Chaillot, j’en serais très fort enchanté.

Mais quand donc y viendrai-je, à mon tour? Hélas! ma chère enfant, je n’en sais vraiment rien. J’écarte une fois pour toutes l’idée que vous voudriez m’attirer à Paris. Quand vous l’auriez, il me semble que je ne pourrais que vous en savoir gré. Mais il me paraît que, dans tout ce que nous faisons l’un et l’autre, nous cherchons par la grâce de Dieu autre chose qu’une satisfaction personnelle. Eh! bien, il me semble que je ne puis encore de quelque temps abandonner ma maison de Nîmes, à moins de trouver de quoi dédommager les professeurs, qui, si je m’en retire, courent grand risque de se trouver sans élèves. Il est très pénible à moi de dire que, si je m’en vais, la maison court d’assez grands risques. La question matérielle elle-même est là qui m’arrête. Tant que je n’aurai pas payé une partie de mes dettes et que je n’aurai pas l’espérance fondée de payer le reste, dans un temps donné, il me sera impossible de songer à m’éloigner. Car, enfin, ceci est pour moi une question de justice. Vous me dites que je ne puis espérer d’avoir beaucoup de sujets à Nîmes. Mais en aurai-je, d’ici à quelque temps, beaucoup à Paris? C’est ce dont il est permis de douter. Il faudra former les hommes que je voudrais m’associer; ils se trouveront parmi les élèves de nos maisons en grande partie. Allons! Il me faut arrêter encore aujourd’hui, et je ne vous ai pas dit un mot de votre santé Veuillez me prêcher un peu d’exemple. C’est le genre de sermon qui pourra le mieux me convertir.

Adieu, ma chère enfant. Tout vôtre en Notre-Seigneur. Je n’oublierai pas la tabatière de Soeur Marie-Louise.

Notes et post-scriptum
1. D'après une copie.
2. L'économe de la maison, l'abbé Henri, le 3 février suivant, estimait le déficit à 5,238 francs seulement.
3. La copie présente ici une lacune. La classe visée, nous le savons par ailleurs, était alors l'aristocratie de la finance et des affaires.