Vailhé, LETTRES, vol.1, p.741

19 nov 1834 Rome, DU_LAC Melchior
Informations générales
  • V1-741
  • 0+226|CCXXVI
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.741
Informations détaillées
  • 1 ACTES PONTIFICAUX
    1 ARMEE
    1 CATHOLIQUE
    1 CHOIX
    1 CHRETIEN
    1 CONGREGATION DE L'INDEX
    1 CRAINTE
    1 CULPABILITE
    1 DIPLOMATIE
    1 DOGME
    1 DONNEES DE LA FOI
    1 ENCYCLIQUE
    1 ERREUR
    1 FAUSSES DOCTRINES
    1 HERESIE
    1 INSTITUTS RELIGIEUX
    1 INTELLIGENCE
    1 JANSENISME
    1 LIVRES
    1 MIRACLE
    1 PAPE
    1 PAROLE DE DIEU
    1 PHILOSOPHIE CHRETIENNE
    1 POLITIQUE
    1 RELIGIEUX
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 SUPERIEUR GENERAL
    1 THEOLOGIE
    1 THEOLOGIENS
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 ULTRAMONTANISME
    1 UNITE CATHOLIQUE
    1 VERITE
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    2 ASTROS, PAUL D'
    2 BAUTAIN, LOUIS
    2 BOUTARD, CHARLES
    2 BRUILLARD, PHILIBERT DE
    2 CLEMENT XIV
    2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
    2 ESGRIGNY, LUGLIEN DE JOUENNE D'
    2 FENELON
    2 JANSENIUS
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 LERMINIER, JEAN-LOUIS-EUGENE
    2 MICARA, LODOVICO
    2 NICOLAS I
    2 ODESCALCHI, CARLO
    2 OLIVIERI, MAURIZIO
    2 ROOTHAAN, JEAN-PHILIPPE
    2 SUAREZ, FRANCISCO
    2 VENTURA, GIOACCHINO
    3 GRENOBLE
    3 MASSA
    3 ROME
    3 RUSSIE
    3 TOULOUSE
  • A UN AMI (1).
  • DU_LAC Melchior
  • le 19 novembre 1834.
  • 19 nov 1834
  • Rome,
La lettre

…J’ai consulté trois théologiens, le P. Ventura, le cardinal Micara et le P. Olivieri. Selon ces Messieurs, l’encyclique n’est pas un jugement doctrinal en ce sens qu’il oblige[rait] à croire que telle proposition condamnée est contenue dans l’ouvrage de l’abbé. Il n’est, en effet, aucune proposition fausse qui ait été extraite des Paroles d’un Croyant. Il paraît que tous les théologiens sont d’accord sur ce point, à l’exception des Jésuites dont je ne sais pas l’interprétation. Je sais seulement que le P. Roothan, leur général, a dit, il y a quinze jours, qu’il était très mécontent de l’encyclique.

Le P. Ventura pense que, pour qu’il y ait jugement doctrinal, il faut que la cause soit plaidée -comme dans l’affaire de Fénelon;- que tout autre acte du pape oblige à l’obéissance, comme les ordonnances d’un juge qui sont rendues sur certaines affaires, quoique ce ne soient pas toujours des sentences définitives. Après ces arrêts préparatoires, on peut toujours défendre le fonds du procès.

On distingue trois sortes d’actes pontificaux: le premier, lorsque le Pape dans une encyclique expose la foi de l’Eglise, sans faire allusion à aucune erreur; le second, lorsque le Pape expose en général la foi de l’Eglise contre une erreur, sans spécifier que telle doctrine opposée soit fausse; le troisième, lorsque le Pape extrayant des propositions fausses d’un livre ou d’une doctrine y oppose les propositions catholiques. Les ultramontains reconnaissent que les décisions du dernier genre sont seules obligatoires, sous peine d’hérésie. On ne peut pas dire que l’encyclique du mois de juin soit obligatoire sons ce rapport-là, puisqu’elle n’extrait aucune proposition, quoi qu’en ait pu dire l’Ami de la religion.

Le Pape cependant fait plus qu’exposer la foi, il prévient les fidèles contre un livre dangereux, mais il n’est aucune erreur dont on puisse dire: « Le Pape l,a condamnée dans les Paroles d’un Croyant. » Il faut donc dire avec le P. Olivieri qu’il y a trois catégories d’ouvrages dangereux: les livres certainement hérétiques, les livres gravement suspects d’hérésie et les livres légèrement suspects. Ce sont les catégories adoptées par la Congrégation de l’Index. Selon le P. Olivieri, les Paroles sont au nombre des livres gravement suspects, puisque le Pape a jugé à propos de prévenir l’Eglise contre ce livre, quoiqu’il n’y ait trouvé que des propositions respectivement fausses(2). Remarquez le mot. Il faut donc conclure que les Paroles renferment des passages qu’on peut très facilement prendre dans un sens mauvais, mais que l’on peut aussi prendre dans un bon sens.

Il ne faut pas dire que parler ainsi c’est imiter les Jansénistes. Le Pape avait défini ce qui était mauvais dans le livre de Jansénius; ici, non seulement il n’a rien défini de semblable, mais il n’a pas voulu que les Paroles fussent placées sur le catalogue des livres mis à l’Index que l’on a publié depuis l’encyclique. Donc l’ouvrage n’est pas condamné par un jugement doctrinal. Voilà la conclusion du P. Ventura.

Le cardinal Micara le croit condamne par un jugement de cette nature. Mais ce n’est qu’une distinction de mots, parce qu’au-dessus du jugement doctrinal il met le jugement dogmatique, et puis, encore, si je ne me trompe, le jugement ex cathedra.

Si donc l’abbé de la M[ennais] se rétractait, il ne pourrait s’avouer coupable d’aucune erreur en particulier, puisque aucune erreur en particulier n’a été condamnée dans son livre. J’ajouterai, avec le cardinal Micara, que, s’il se soumettait, on exigerait de lui des choses qu’il a le droit de refuser. Sa position est difficile. Ce qu’il y a de mieux pour lui, c’est le silence.

Le système philosophique n’a été blâmé que, parce qu’il appartenait à un auteur dont les idées politiques étaient dangereuses. Ceci est l’idée du P. Olivieri, qui me le répète toutes les fois que je le vois, et qui s’obstine à dire que le sens commun n’est pas condamné en lui-même… Le cardinal Micara soutient la même chose. Le cardinal Odescalchi a dit à un prêtre, de qui je le tiens, que dans le système philosophique on n’avait condamné que la partie qui avait trait à la politique(3).

Le P. Olivieri m’a fait remarquer que la vérité se prouvait par des preuves philosophiques et par des preuves théologiques, que les preuves théologiques ont une force insurmontable, mais qu’on prouve Dieu philosophiquement. Saint Thomas n’apporte dans sa Somme aucune preuve théologique de l’existence de Dieu, par la raison toute simple qu’en théologie il n’y en a point et il ne peut y en avoir. La théologie reposant sur la parole de Dieu, on ne peut pas prouver Dieu par l’autorité de sa parole. Ce serait retomber dans le système de M. Bautain. Les théologiens admettent un ordre de preuves, qu’ils appellent praeambula fidei, et ces preuves sont nécessairement humaines. Je vais vous en donner un exemple. La foi est fondée sur l’Eglise, l’Eglise sur la parole de Dieu. Par quoi un individu parvient-il à connaître la parole de Dieu? Les miracles sont une preuve de la divinité de l’Eglise. Sur quoi est fondée l’authenticité des miracles?

Je vous conjure donc de ne pas abandonner vos systèmes philosophiques et politiques. Pour la politique, vous ferez bien de lire Suarez: Defensio fidei catholicae, et saint Thomas: De regimine principis. Je suis bien heureux de m’être trouvé à Rome, car j’ai éprouvé les mêmes embarras que vous, ce qui a pu donner lieu à quelque incertitude sur ma manière de voir. Aujourd’hui, je n’en ai plus. Je consulte le P. Ventura, qui, il n’y a pas un mois, a refusé l’évêché de Massa. On ne nomme pas évêque un homme dont on suspecte la foi; et le P. Ventura professe ces doctrines devant qui veut l’entendre. Il les développa, il y a quelque temps, devant l’ambassadeur de Russie qu’ il ne connaissait pas et qu’on s’était amusé à ne pas lui faire connaître. « Monsieur, lui dit l’ambassadeur après une longue tirade du Père contre Nicolas, savez-vous que l’empereur a pour lui les baïonnettes? -Monsieur, lui répondit le P. Ventura, savez-vous qu’il a contre lui les intelligences? ce qui est bien autrement fort. »

Le P. Olivieri ne se cache pas davantage. Le jour qu’il fut nommé général des Dominicains, j’allai le voir. Il y avait une trentaine de personnes chez lui. Il me demanda devant tout ce monde des nouvelles de M. de la M[ennais] et me chargea de lui dire qu’il avait pour lui la plus haute estime et grand’peur de ses prophéties, parce qu’il avait toujours prédit la vérité. Il voulait donner sa démission de commissaire du Saint-Office. C’était une belle occasion de se défaire d’un homme à idées fausses. Le Pape n’a pas voulu lui permettre de se démettre de cette charge.

Je sais qu’on fait courir le bruit que l’abbé de la Mennais a déclaré qu’il espérait être chrétien, mais qu’il ne savait pas s’il serait toujours catholique. Cependant, on m’a assuré qu’il avait écrit à Lerminier pour repousser ses éloges et lui déclarer qu’il était attaché du fond des entrailles à l’unité catholique dont Rome est le centre(4).

Rome, dans ce moment, est partagée entre les Jésuites et les autres religieux: les Jésuites qui ont juré de faire subir à tous les Ordres l’avanie qu’ils ont reçue sous Clément XIV, les religieux qui ont pris le parti de se populariser le plus possible; les Jésuites qui reprochent aux religieux tous les défauts des publicains, les religieux qui prétendent que les Jésuites disent du matin au soir la prière du pharisien: Non sum sicut coeteri hominum(5).

Quant à la distinction de l’ordre de foi et de l’ordre de conception, tout le monde l’admet ici, et l’on reconnaît que l’on ne condamne pas les systèmes philosophiques. Ce soir encore, le cardinal Micara m’a garanti que l’on ne ferait jamais rien contre la doctrine du sens commun. Il est vrai que l’archevêque de Toulouse et l’évêque de Grenoble(6) font des mandements, qu’ici on qualifie de solennelles impertinences…

Notes et post-scriptum
4. Allusion à une lettre datée du 29 septembre 1834, dont l'abbé d'Alzon fit une copie partielle, que nous citons en Appendice. La lettre à Lerminier, du 9 septembre, a paru dans l'*Intermédiaire des chercheurs et curieux*. M. Butard en donne un extrait, t. III p. 91.1. Nous publions ces extraits de lettre d'après une copie qui est de la main de Melchior du Lac, ami de l'abbé d'Alzon. Il est probable que la lettre lui avait été adressée et que la correspondance, interrompue depuis quelque tempe entre les deux amis, fut reprise par du Lac lui-même, avec sa lettre commencée le 1er novembre et arrivée à Rome seulement le 19. La veille encore, l'abbé d'Alzon assurait à d'Esgrigny qu'il ignorait l'adresse à Paris de leur ami commun. Cette lettre est, à notre avis, la même que la suivante, dont nous possédons un brouillon complet, daté également du 19 novembre et écrit en entier par l'abbé d'Alzon; on y trouve, sous une forme parfois un peu différente, l'ensemble des idées et des faits qui remplissent la lettre CCXXVI. On pourra ainsi, une fois de plus, par la comparaison des deux documents, se rendre compte de la manière dont travaillait alors l'abbé d'Alzon, et en conclure que les nombreux brouillons de lettres, que nous publions, ne sont pas absolument conformes aux lettres qu'il envoya réellement et que nous ne possédons plus.
2. C'est la première note infligée aux *Paroles d'un Croyant* par l'encyclique du 25 juin; mais ce n'est pas la seule. On ne doit pas oublier que le Pape parle, sans les désigner, de propositions déjà condamnées par l'Eglise dans les écrits de certains hérétiques et que l'on retrouve dans l'ouvrage de La Mennais. Le jugement, du P. Olivieri est donc empreint d'une trop grande bienveillance à l'égard de l'abbé" Féli.
3. En réalité le système philosophique de l'abbé Féli était condamné par Rome depuis l'année 1832 au moins et l'on n'attendait qu'une occasion de faire connaître cette décision. Là encore le P. Olivieri pèche par excès d'indulgence ou par ignorance.
4. Allusion à une lettre datée du 29 septembre 1834, dont l'abbé d'Alzon fit une copie partielle, que nous citons en Appendice. La lettre à Lerminier, du 9 septembre, a paru dans l'*Intermédiaire des chercheurs et curieux*. M. Butard en donne un extrait, t. III p. 91.
5. *Luc*, XVIII, 11. Ces appréciations désobligeantes sur le compte des Jésuites, qu'on trouve sous la plume du jeune abbé étaient souvent l'écho de ses conversations avec les religieux de Rome, ainsi qu'il le dit ici expressément et qu'on le voit mieux encore dans son journal.
6. Mgr d'Astros, archevêque de Toulouse, et Mgr de Bruillard, évêque de Grenoble. Il nous manque la fin de cette lettre.5. *Luc*, XVIII, 11. Ces appréciations désobligeantes sur le compte des Jésuites, qu'on trouve sous la plume du jeune abbé étaient souvent l'écho de ses conversations avec les religieux de Rome, ainsi qu'il le dit ici expressément et qu'on le voit mieux encore dans son journal.