- V1-323
- 0+105|CV
- Vailhé, LETTRES, vol.1, p.323
- 1 ACTIONS DE DIEU
1 ANGES
1 BUT DE LA VIE
1 CATHOLICISME
1 CLERGE
1 ENNEMIS DE DIEU
1 ENSEIGNEMENT DE L'ECRITURE SAINTE
1 ENSEIGNEMENT DE LA PATROLOGIE
1 EVANGILE DE JESUS-CHRIST
1 FRANCHISE
1 LUTTE CONTRE LA TENTATION
1 MALADIES
1 MATIERES DE L'ENSEIGNEMENT ECCLESIASTIQUE
1 PECHE
1 RENOUVELLEMENT
1 RESPONSABILITE
1 VACANCES
2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
2 ESGRIGNY, MADAME D'
2 GOURAUD, HENRI
3 EUROPE
3 FRANCE
3 LAVAGNAC
3 MIDI - A MONSIEUR LUGLIEN DE JOUENNE D'ESGRIGNY (1).
- ESGRIGNY Luglien de Jouenne
- le 11 août 1832.]
- 11 aug 1832
- [Lavagnac,
- Monsieur
Monsieur Luglien de Jouenne d'Esgrigny,
rue Duphot, n° 11.
Paris.
Vous dire, mon cher ami, pourquoi je suis resté si longtemps sans vous écrire, me serait impossible. Ce qui est sûr, c’est que j’ai écrit deux fois à Gouraud, pour lui demander de vos nouvelles et de celles de Madame votre mère, et que je n’en ai reçu aucune réponse. Du Lac, m’a appris indirectement que l’indisposition qui vous avait tourmenté pour elle ne vous laissait plus d’inquiétudes, et je me suis tranquillisé. Depuis bientôt un mois et demi que je suis ici, il fait une chaleur dont vous ne sauriez vous faire une idée. Nous sommes cuits, bouillis, rôtis; nous n’en pouvons plus. Je vous souhaite plus de fraîcheur. Si, dans ce moment, le choléra était dans le Midi, il y ferait de grands ravages.
Depuis que je suis en vacances, je cherche souvent à deviner deux choses, à quoi je suis bon et ce que vous deviendrez. Pour moi, en y réfléchissant mûrement, je me trouve propre à si peu de choses que j’en ai pris mon parti. Je m’en vais, comme dit Gouraud, étudier mon état, lire les Pères, la théologie, la Bible, ne pas abandonner surtout l’étude de ce que nous sommes convenus, avec un ecclésiastique de ma connaissance, d’appeler idées-mères, c’est-à-dire des principes qui sont propres à féconder l’esprit de quiconque est appelé, par sa vocation, à prendre quelque ascendant sur les hommes, idées qui, pour n’être pas admises dans la tête de certains prêtres, les laissent sans influence aucune sur la société. Après cela, j’attendrai patiemment que Dieu parle. Vous ne sauriez comprendre, mon ami, combien quelquefois Dieu parle haut, quand on lui déclare qu’on veut le prendre pour guide.
J’avais été tenté de vous demander conseil, avec la ferme résolution de faire ce que vous me diriez. En réfléchissant, j’ai cru qu’agir ainsi serait offenser Dieu, le tenter, parce que je n’ai pas une certitude absolue que vous deviez être mon ange, l’ange qu’il envoie devant ceux qu’il aime pour leur montrer la voie. Il eût été mal à moi de le tenter. Mais comme d’immenses probabilités morales se réunissent pour me faire croire -ce qui est le voeu de mon coeur- que vous me devez être un de mes plus grands soutiens dans ma carrière, je vous demanderai franchement votre manière de voir à mon égard et j’attendrai de vous la même franchise.
Quant à vous, mon ami, vous dont l’avenir me touche autant que le mien, que pensez-vous faire, à quoi prétendez-vous? Vous m’avez parlé de votre regret de ne pouvoir bien faire. Mais les obstacles que vous croyez devoir empêcher votre développement sont-ils bien réels? Hélas! Hélas! Ce siècle est bien à plaindre, qui repousse ceux qui pourraient le servir, qui engloutit ceux qui pourraient lever les yeux au ciel et découvrir la route à suivre. Mon ami, il m’est de plus en plus évident qu’il y a encore dans le catholicisme assez de force, assez d’énergie pour renouveler la France et l’Europe à force d’amour. Mais qui sera capable de porter cet amour parmi les hommes? Oh! que sa mission serait belle, si prenant sur l’autel un charbon, comme le séraphin dont il est parlé dans la vision d’Isaïe, il purifiait les lèvres de l’humanité! Et pourtant, il est vrai qu’il faut qu’il en soit ainsi, pour que le monde se renouvelle, et que s’il ne se renouvelle pas, la faute en sera aux catholiques qui seront moins bons que leur doctrine. On frémit, en pensant à la responsabilité de tout homme qui peut dire: « j’ai la foi. »
Laissez-moi vous dire combien je gémis, depuis que j’ai promis à Dieu de n’avoir plus d’autre héritage que le sien, combien je gémis de voir cet héritage en proie à tant de misères, ravagé par ses ennemis, négligé par ceux qui le devraient cultiver; et d’un autre côté, au milieu des clameurs qui retentissent autour de nous, au milieu de ces cent mille voix, dont chacune exprime une opinion différente, combien il est triste de ne pas entendre une seule voix, dont on puisse dire: « C’est la voix de Dieu. » Personne ne se charge d’aller porter aux hommes les paroles du Seigneur. Et voilà ce qui me désole. Car, si le Seigneur se tait, qui peut instruire? Je vous dis ceci avec une grande amertume de coeur et vous conjure de considérer combien il serait grand de faire auprès de la société la fonction de héraut divin.
Emmanuel.
Mon projet était de vous écrire plus long. On vient de m’appeler. Je vous écrirai demain ou après-demain.
E.D'ALZON