- V1-252
- 0+081|LXXXI
- Vailhé, LETTRES, vol.1, p.252
- 1 AMITIE
1 DESIR
1 FAIBLESSES
1 PARENTS
1 PROVIDENCE
2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
2 ESGRIGNY, LUGLIEN de JOUENNE D' - A MONSIEUR HENRI GOURAUD (1).
- GOURAUD_HENRI
- le 31 décembre 1831].
- 31 dec 1831
- [Lavagnac,
- Monsieur
Monsieur Henri Gouraud, Elève interne
à l'hôpital des enfants malades,
rue de Sèvres, n° 3.
Paris.
Si mon amitié pour vous dépendait de ma volonté, je crois, mon cher Gouraud, que par moments je ne vous aimerais pas. Je ne voyais jusqu’à présent dans l’amitié qu’un secours donné par la Providence pour faire supporter la vie. Or, qu’y a-t-il entre vous et moi, lorsque, ayant l’occasion de vous aider à suivre votre voie, je ne le fais pas? Voilà la pensée qui me revient sans cesse, qui me remplit le coeur d’amertume, je dis presque de honte, et qui, depuis deux mois, m’te la force de vous écrire. L’amitié qui m’unit à du Lac m’est chère, parce que, lorsqu’il répond à mes lettres, il me dit: « Vos paroles me font du bien »; mais lorsque je pense à vous et que je suis pour vous, dans votre peine, comme si je n’étais pas, je me demande:. « A quoi bon nous aimer? »
Pardonnez-moi, mon cher ami; cette vaniteuse faiblesse, qui m’a fait oublier si longtemps que je pouvais au moins vous parler de mon bon désir, et qui pouvait vous laisser le soupçon que je me taisais parce que vous êtes malheureux. Et cependant, il est bien vrai que je n’ai jamais senti plus vivement une peine que celle que j’ai éprouvée, lorsque j’ai vu que, pour le moment, je ne pouvais vous aider à accomplir un devoir si beau. Encore une fois, mon cher ami, pardonnez-moi de vous l’avoir laissé si longtemps ignorer. Vous vous en doutiez bien, j’espère; mais j’aurais dû vous le dire tout de suite.
Je vous admire, mon bon ami, et je vous aime mille fois plus, si c’était possible, lorsque je pense au dévouement que vous montrez pour votre famille. Mais je ne pense pas que de telles paroles vous soient nouvelles. Ceux de vos amis que vous pouvez voir ont dû vous le dire. Courage donc, car ceci est de bon augure. Dieu donne une prompte récompense à ceux qui l’honorent dans leurs parents.
Mon cher ami, je voulais par la longueur de ma lettre me dédommager de mon long silence. Il m’est impossible. Pourquoi, à chaque instant, suis-je forcé de m’arrêter pour penser toujours à vous, mais dans un vague qui ne laisse en moi qu’une grande tristesse? Pourquoi la même chose a-t-elle lieu, quand j’écris de vous à du Lac ou à de Jouenne?
Il semble que mon coeur se gonfle. Si j’étais à côté de vous, je pleurerais. Mais je n’ai pas plus la force de vous écrire que je n’aurais celle de vous parler. Adieu, ami, adieu.
Emmanuel.