Vailhé, LETTRES, vol.1, p.105

10 jul 1830 (Lavagnac, LA_GOURNERIE Eugène
Informations générales
  • V1-105
  • 0+033|XXXIII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.105
Informations détaillées
  • 1 ANIMAUX
    1 ANTICLERICALISME
    1 ASSISTANCE A LA MESSE
    1 ECRITURE SAINTE
    1 EVEQUE
    1 INTEMPERIES
    1 LIBERAUX
    1 LIVRES
    1 LOISIRS
    1 PREDICATION
    1 RECONNAISSANCE
    1 REPAS
    1 REPOS
    1 SOUTANE
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 VIE DE PRIERE
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 COMBALOT, THEODORE
    2 DAUBREE, LEON
    2 DREUX-BREZE, PIERRE-SIMON DE
    2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
    2 GERBET, PHILIPPE-OLYMPE
    2 LAMARTINE
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 O'MAHONY, ARTHUR
    3 HERAULT, RIVIERE
    3 PARIS
  • A MONSIEUR EUGENE DE LA GOURNERIE (1).
  • LA_GOURNERIE Eugène
  • le 10 juillet 1830.]
  • 10 jul 1830
  • (Lavagnac,
  • Monsieur
    Monsieur Eugène de La Gournerie,
    rue du Vieux-Colombier, n° 29.
    Paris.
La lettre

Je reçus avant-hier votre lettre, mon cher Eugène; il n’y a qu’un instant que j’ai reçu le paquet qui renfermait les livres. Je vous fais tous mes remerciements. Vous êtes charmant de faire les commissions qu’on vous donne. prenez garde que cela ne me rende importun. Je n’ai pourtant rien aujourd’hui à vous demander. Ce n’est absolument que pour vous remercier et pour causer un peu avec vous que je prends la plume. Vous me faites les compliments de Brézé. De peur de l’oublier, je vous prie tout d’abord de les lui rendre; je ne veux pas être en reste avec lui.

Vous voulez savoir ma manière de vivre. Je vous le dirai fort nettement, car il y a ici quelqu’un qui a l’oeil à ce que je sois fidèle à ma règle. Je me lève à 5 h. 1/2. Je fais mes prières, je travaille jusqu’à 8 heures: ce temps est ordinairement employé à lire l’Ecriture Sainte. A 8 heures, la Messe. Jusqu’au déjeuner, qui a lieu à 10 heures, je travaille encore; [après], je joue au billard, je me promène, je m’amuse enfin jusqu’à midi, où je me remets de nouveau au travail jusqu’à 5 heures.

Quelquefois, cette étude est interrompue par le bain, car je me baigne souvent. C’est un de mes grands plaisirs. Presque toujours, je suis tout seul. Je prends un livre et, escorté de trois ou quatre chiens, je me dirige vers les bords de l’Hérault. J’ai au plus pour dix minutes de chemin. Je lis ou réfléchis en marchant, je me repose quelques instants sous les arbres du rivage et je me plonge dans les eaux transparentes et solitaires.

Vous pensez bien que le bain me fait dîner avec appétit. Après dîner je me promène, quelquefois seul, souvent avec les personnes qui viennent nous voir. Sur les 8 h. 1/2 ou 9 heures, je rentre dans mes appartements, et c’est alors que se fait ma correspondance. J’entre dans mes draps vers 10 h. 1/2 à 11 heures, et voilà ma journée. Etes-vous content, ou vous faut-il des détails encore plus amples? En vérité, je ne saurais trop que vous dire; et puis, si j’oublie quelque chose, vous n’êtes pas poète pour rien.

A propos, savez-vous que je vous fais mon compliment de votre nouvelle connaissance poétique? Les Harmonies sont un bel ouvrage, et ma mère, à qui j’en lisais une pièce, s’écria l’autre jour dans son admiration: « Je ne connais que deux poètes, M. de Lamartine et M. de La Gournerie ». Ces paroles m’ont donné une envie terrible de faire un parallèle, et vous seriez le plus aimable des hommes de nous en fournir les moyens.

Mandez-moi quelque chose de nouveau, car il m’a pris un tel dégoût de nouvelles que je ne puis les lire que dans les lettres de mes amis. Etes-vous effrayé? Ici, quelques personnes le sont. Les libéraux sont ou des indiscrets ou des bavards. Les uns disent qu’avant la fin de l’année ils comptent se faire un habit de la soutane de notre évêque, les autres, qu’au mois de septembre il y aura une grande déconfiture de prêtres, car toujours c’est sur le clergé que leur haine se porte.

Ceci me rappelle le comte O’Mahony(2) avec son cortège prophétique. Que faites-vous de ce comte-là? Qu’en dites-vous? Etes-vous allé le revoir? Ou bien avez-vous fait comme moi, l’avez-vous planté là? Les prophéties qui nous firent tant de peur, je crois qu’il pourra bien s’en accomplir quelque chose, mais quand et comment, Dieu le sait. Elles semblent, il est vrai, s’accorder assez bien avec les promesses des libéraux, mais encore une fois il faut, je crois, pour toutes ces choses, dire: « Cela est possible, cela peut avoir lieu, mais tout cela se terminera probablement d’une manière opposée aux prévisions humaines. »

Et l’écho du comte, la miniature de l’abbé (= de la Mennais), l’ombre de M. Gerbet, Daubrée enfin! Donnez-moi donc de ses nouvelles. Il est peut-être fâché contre moi. Tant pis pour lui! Je partis sans lui faire mes adieux. Il me devait trois ou quatre visites: les deux seules fois qu’il me soit venu voir l’hiver dernier, il resta à la première visite dix minutes au plus, la seconde un quart d’heure. Je vous prie de lui faire mes compliments.

Je n’ai aucune nouvelle du p. Combalot; je ne sais ce qu’il devient. Il va probablement se mettre en train de commencer ses prédications. Vous ne me parlez plus de rien au sujet de votre affaire. Je pense que vous attendez toujours le mois de septembre. Nous sommes pris d’une chaleur accablante. Il paraît qu’à Paris vous avez mauvais temps. Tant pis! car dans l’été rien n’est triste comme la pluie.

Adieu, mon cher Eugène. Je serai demain fidèle à votre rendez-vous. Priez pour du Lac; il est bien à plaindre. Je vous aime bien.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
(1) La date donnée est celle du cachet de la poste, à Montagnac.
(2) Ami et disciple de la Mennais, il écrivit dans les publications de son école comme le Mémorial catholique, puis se déclara son adversaire irréductible.