Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 325.

13 may 1847 Nîmes O_NEILL_THERESE Emmanuel ra

Votre sollicitude pour notre Mère – « A quoi bon une direction où l’on peut se tromper? » – Un esprit d’analyse exagéré – Manque de confiance de sa part – Confiance absolue de la mienne – Le malentendu de l’année dernière – Faire dire aux gens plus qu’ils n’ont dit – L’abstraction – Une preuve de mon dévouement.

Informations générales
  • PM_XIV_325
  • 0+522 b|DXXII b
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 325.
  • Orig.ms. AC R.A.; D'A., T.D. 19, pp. 196-199.
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 AMOUR FRATERNEL
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 DESESPOIR
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 EGOISME
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 ERREUR
    1 FATIGUE
    1 FAUTE D'HABITUDE
    1 FRANCHISE
    1 GUERISON
    1 MALADIES
    1 OUBLI DE SOI
    1 PARESSE
    1 REPRESSION DES DEFAUTS DES JEUNES
    1 SCRUPULE
    1 VOYAGES
    2 GOURAUD, HENRI
    2 MILLERET, MARIE-EUGENIE
    3 PARIS
  • A LA MERE THERESE-EMMANUEL O'NEILL
  • O_NEILL_THERESE Emmanuel ra
  • Nîmes, le 13 mai 1847.
  • 13 may 1847
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
La lettre

Ma chère Soeur,

Je ne puis vous dire à quel point je suis touché de la manière dont vous cherchez à me faire connaître ce qu’il y a de souffrant et de brisé dans le coeur de notre Mère. Je vous en remercie bien du fond de l’âme et j’espère, Dieu aidant, que tous ces détails me faciliteront le moyen de lui faire encore du bien, comme autrefois. Pour y parvenir, je suis prêt à tout essayer, mais aussi permettez-moi de vous faire part de quelques-uns de mes embarras. Je commence par où vous finissez.

Vous m’engagez à lui dire que je me suis trompé à son égard, et certes je ne demande pas mieux. Mais peut-être vous rappellerez-vous qu’il y a deux ou trois ans, comme il paraît que nous ne nous étions pas bien compris, je consentis, sans plus de peine que je n’en aurais à présent, à dire que je m’étais trompé. Qu’en résulta-t-il? C’est qu’elle me demanda: « A quoi bon une direction, où l’on pouvait la tromper de la sorte ou plutôt se tromper? »

Elle ne peut souffrir que je l’engage à ne pas s’occuper de certaines idées et à les laisser tomber. Que cela lui soit très difficile, j’en conviens; mais il n’en est pas moins sûr aussi que son esprit d’analyse me semble quelquefois donner dans certains excès, que j’avais cru devoir combattre. Couvrir une plaie et la laisser s’étendre sous l’appareil qu’on ne visite jamais a de grands inconvénients, j’en conviens; mais soulever aussi sans cesse l’appareil, porter à chaque instant la main sur les chairs meurtries, c’est les irriter et rendre la guérison presque impossible. J’eusse vivement désiré que notre Mère eût vu, dans mes recommandations de laisser tomber certaines préoccupations, quelque chose de semblable à la défense que l’on fait à un enfant de ne pas porter la main à un bouton qui le démange. Croyez-le bien, un peu de confiance eût apaisé bien des douleurs. L’enfant dira aussi qu’il ne peut pas s’empêcher de porter la main sur son mal. Il me paraît que nous nous étions occupés assez souvent avec notre Mère de ces douleurs, pour que j’eusse le droit de l’engager à faire l’effort que j’espérais d’elle. Que pouvait-elle craindre, en effet? Un peu de confiance ne lui aurait-elle pas laissé voir que ma grande préoccupation c’est elle et ce qui l’intéresse?

Mon Dieu, pourquoi n’est-elle pas ici ou n’y était-elle pas, il y a deux mois? Elle eût pu voir comment l’instinct de la confiance si absolue que je lui accorde a fait le désespoir d’une personne qui me portait une espèce de culte. Et pourtant je ne parlais jamais d’elle. Mais vous savez que lorsqu’un sentiment est puissant au fond du coeur, il perce par tous les pores comme à notre insu. C’est bien ce qui se passe ici pour notre Mère, où quelques personnes redoutent la trop grande confiance que j’ai pour tout ce qui vient d’elle. Si l’on pouvait rire en pareille matière, je vous ferais voir quelques exemples des dépits occasionnés par ce motif. Mais voyez donc comme je suis mauvais! J’éprouve la plus grande répugnance à me justifier là-dessus, tant je me crois à mille lieues de ce que notre Mère paraît devoir me reprocher.

Maintenant toutefois je vous dirai toute ma pensée. Je crois que, vers le milieu du carême de l’année dernière, il y eut chez nous du malentendu.

1° J’arrivais avec une telle disposition d’ouverture calme, entière, paisible, que je fus un peu peiné de ce que je ne paraissais pas compris.

2° Je fus peut-être coupable de montrer de la fatigue, qui agit presque toujours beaucoup trop sur moi et me rend fort désagréable.

3° Je ne me rendis peut-être pas bien compte de certains sentiments de notre Mère et je trouvai, en effet, qu’ils étaient un peu comme ceux de tout le monde, quand je n’avais été accoutumé à rien de semblable, de sa part. Ce que vous me dites dans votre deuxième lettre me l’explique très bien, et sur cet article je reconnais mes torts très volontiers. Le fait que j’observais était bien constant, mais l’explication que je lui donnais était mauvaise. C’est en ce sens que j’ai eu à la fois tort et raison de dire que je trouvais son amitié égoïste. J’avais raison, puisque son expression s’était quelquefois [le mot manque]; j’avais tort, parce qu’il fallait qu’elle fût ainsi. C’est moi qui l’avais voulue telle; je ne devais m’en prendre qu’à moi.

Je voudrais bien cependant faire une observation, c’est que notre Mère me paraît quelquefois tomber dans le défaut de faire dire aux gens plus qu’ils n’ont dit pour leur trouver tort. Ceci est exprimé trop rudement, car je ne peux pas dire qu’elle agisse ainsi de pleine volonté; mais c’est la conséquence souvent forcée d’un état souffrant, et s’il y a de sa faute, il y a aussi de la mienne. J’admets de plus qu’elle n’en vient là que lorsqu’elle n’en peut plus. Mais cet état rend fort difficile le bien qu’on veut lui faire.

Vous me demandez de ne pas procéder par abstraction avec elle; je vous le promets et je vous remercie d’y avoir insisté. Vraiment vous me rendez service de m’en faire comprendre l’absolue nécessité. Quant à ce que je tienne à lui prouver mon dévouement, je vous en donnerai un exemple. Vous savez que je devais aller à Paris. Des raisons très graves m’en empêchent à présent, et j’écrivis à notre Mère que je n’irais à Paris qu’autant qu’elle me dirait qu’elle avait besoin de me voir. Voilà que je reçois une lettre de M. Gouraud, qui me presse de hâter mon voyage projeté à cause de la maladie de ma soeur. En toute autre circonstance un pareil motif m’eût fait passer par-dessus tous les obstacles, mais je ne bougerai certainement pas, à moins que je ne sache ma soeur à l’extrémité, de peur que notre Mère ne pense que je fais pour une de mes soeurs ce que je ne fais pas pour elle. Si vous pensez que ce détail doive lui faire la moindre peine, supprimez-le, car ce ne sont pas là des choses qui aient quelque prix, quand on les fait pour en parler.

Je ne puis vous répéter assez, ma chère Soeur, combien votre conduite dans ces déchirements me paraît noble et délicate, et quelle reconnaissante affection m’inspirent les efforts que vous faites, pour renouer ce qui n’aurait jamais dû avoir l’apparence de la moindre désunion. Que Dieu vous en récompense! Pour moi, je puis vous assurer que je vous en remercierai toute ma vie. Je n’ai pas le temps de me relire. On me dérange pour gronder trois ou quatre paresseux.

Notes et post-scriptum