- PM_XIV_164
- 0+446|CDXLVI
- Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 164.
- Orig.ms. ACR, AD 402; V. *Lettres* III, pp. 5-8 et D'A., T.D. 19, pp. 42-43.
- 1 ABAISSEMENT
1 ABANDON A LA MISERICORDE DE DIEU
1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
1 AUSTERITE
1 CARACTERE
1 CELLULE
1 CHARITE THEOLOGALE
1 COMPORTEMENT
1 CONVERSION SPIRITUELLE
1 EBAUCHE DES CONSTITUTIONS DES ASSOMPTIONNISTES
1 EDUCATION HUMAINE
1 EPREUVES
1 IMITATION DE JESUS CHRIST
1 INCONSTANCE
1 LEGERETE
1 MAITRISE DE SOI
1 NOTRE HABIT ASSOMPTIONNISTE
1 PAIX DE L'AME
1 PENSIONNAIRES
1 RECHERCHE DE LA PERFECTION
1 REVOLTE
1 SALUBRITE
1 TIERS-ORDRE MASCULIN
1 VOIE UNITIVE
2 CROY, DE
2 CROY, ENGELBERT DE
2 CROY, MADAME DE
2 NEWMAN, JOHN-HENRY
2 SAUVEBOEUF, MADAME DE
3 MEDITERRANEE
3 MIDI
3 NIMES
3 PARIS - A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
- MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
- Nîmes, le 4 janvier 1846.
- 4 jan 1846
- Nîmes
- *Madame*
*Madame la Supérieure de l'Assomption*
*n° 76 rue de Chaillot*
*Paris.*
Quoique je vous aie déjà écrit hier, ma chère fille, je reprends la plume aujourd’hui pour vous parler d’une foule de choses, mais auparavant il faut que je vous rappelle certaines choses et que je vous fasse quelques questions.
1° Je vous ai priée d’envoyer l’office du Tiers-Ordre; nos Frères me le demandent.
2° Pourriez-vous me procurer des crucifix pour le Tiers-Ordre?
3° Les cachets, dont vous avez bien voulu vous charger, seront-ils bientôt prêts?
4° J’ai oublié de vous dire que, d’un avis unanime, ici, l’on a préféré ma courroie jaune à la corde que vous m’avez envoyée(1).
5° Je ne vous ai pas remerciée du chapelet que vous m’avez envoyé; je me suis permis de croire que c’était le vôtre et j’en ai éprouvé une véritable joie.
6° Enfin, comment dois-je m’y prendre avec Mme de Croÿ? Il est évident qu’elle et son mari ne savent pas se conduire. Elle m’accable de cadeaux. Or comme je n’en reçois pas ordinairement, j’ai été fort embarrassé le premier jour; aujourd’hui je suis bien résolu à les considérer comme un dépôt pour ses enfants. Mais que faire avec une femme, qui, à côté des plus durs sacrifices qu’elle s’impose, fait des voyages pour connaître seulement la différence qu’il y a entre l’Océan et la Méditerranée? Vous le dirai-je encore? Son mari ne me va pas du tout. Je ne crois pas manquer à la charité en vous disant que je l’ai pris pour un flâneur, parce que je ne demande pas mieux que de lui rendre service, mais à condition que je ne m’y laisserai pas prendre. Chat échaudé craint l’eau froide. Le meilleur parti qu’il y aurait à prendre pour lui serait sûrement de lui donner une chambre dans une communauté, ce que je puis absolument lui procurer. Pensez-vous que je puisse mettre à sa disposition la chambre où je vous voyais à Nîmes, chez les Dames de Marie-Thérèse. Elle serait bien un peu loin de l’Assomption mais je n’y vois pas un grand mal. Un autre inconvénient, c’est qu’elle serait dans une maison de Refuge, ce qui peut-être lui serait désagréable.
Il est évident aussi que ses enfants seront mal élevés, si elle ne prend un grand parti, celui de nous les confier tout à fait. Engelbert, son fils aîné, sera un homme de volonté, mais il ne faut pas qu’on le gâte. Comment dois-je m’y prendre pour le prix de la pension? Mme de Sauveboeuf me dit de m’adresser à elle, mais je crois qu’il faut que je sache aussi à qui m’adresser pour le trousseau. Ces pauvres enfants n’ont que quatre chemises. Veuillez me dire quelles mesures j’ai à prendre. Mme de Croÿ voudrait beaucoup traduire. Mais ne serait-elle pas mieux pour cela à Paris? Causez de tout cela avec Mme de Sauveboeuf, et puis faites-moi mon chemin bien clair.
Interrompue cinq ou six fois comme de raison, cette lettre doit pourtant se finir; et que vous dirai-je, ma fille, sinon que je ne sais plus où j’en suis, ou plutôt qu’à présent que la tempête a fini par quelques larmes que m’a fait verser le récit de la conversion de M. Newman, je vois plus clairement que jamais ma vocation devant moi, jointe à l’obligation de tendre au plus parfait. Mais qu’y a-t-il de commun entre le plus parfait et moi; entre un homme qui ressent au fond du coeur toutes les impressions de l’orgueil et de la vengeance, pour des injures faites il y a quatre ans, et la perfection? Et je ne vous dis pas tout. Car l’orage ne venait pas seulement des sottises, mais aussi d’épreuves, dans lesquelles je me trouve si petit que je ne sais quelle idée peut venir de me croire obligé de tendre à l’acquisition de ces grandes et divines vertus qui me rapprochent de Jésus, mon modèle et tout mon amour.
Ne croyez pas, ma fille, que ce soit là ce que je voulais vous dire, ce matin. Ce que je voulais vous dire, je l’ai complètement oublié; cela reviendra peut-être. Mais ce que j’ai à vous confier maintenant, c’est cette touche, que je crois de Dieu, de plus en plus forte, qui, à côté de misères dont vous ne vous faites pas une idée, me pousse à me perdre en Dieu par l’abandon absolu de tout mon être entre ses mains toutes puissantes et toutes miséricordieuses. Où ai-je ces idées? Je n’en sais rien. A l’oraison? Je la fais tout de travers. A la messe? Je ne puis dire comment je la célèbre. Tout est mort en moi, tout, excepté la plus entière confiance en Dieu, au moins habituellement, car il y a des moments où je doute de tout. Dieu permet ces bourrasques, afin de me donner une plus grande compassion pour les âmes, et, de fait, il me semble que je suis par moments plus miséricordieux qu’autrefois. Je dis par moments, car mon inconstance est quelque chose d’inexprimable. Les vents qui nous désolent depuis quelques jours ne chassent pas plus de grains de poussière, dans leurs tourbillons, que les diverses impressions de mon âme ne font passer devant mes yeux d’idées contradictoires. Et toutes ces idées contradictoires, est-ce moi? Je n’en sais rien. Il me semble que cela passe devant moi, mais que ce n’est pas moi. Car, moi, il me semble qu’au fond ou dans mon fond je reste calme. Et ce qui reste calme dans mon fond, est-ce moi encore? Je ne le sais pas, mais je ne le crois pas. Car, il me semble que je ne reste en possession de moi qu’autant que je reste en union avec Dieu. Quant à ce dernier point, ma volonté est bien fixe pour aujourd’hui. Je veux Dieu de toutes les puissances de mon âme et [de] tous les élans de mon coeur, et très certainement je le veux autant qu’un être puisse le vouloir. Mais cela suffit-il? Hélas! Vous savez bien que non, et c’est pour cela que je vous dis: « Aidez-moi et soutenez-moi. »
Depuis hier, je suis dans ma cellule définitive. J’y ai encore un peu de luxe, mais il faut me le passer à cause de notre situation vis-à-vis des domestiques et à cause du local. Les pavés étaient en pierre. Je crains le froid aux pieds et j’ai une peau de mouton pour les pieds; mais je l’enlèverai, je crois, si je n’écris pas dans ma chambre. Il me répugne d’écrire mes Constitutions dans mon cabinet, qui est tapissé et assez propre, parce qu’il me sert de parloir. J’ai dans ma cellule de quoi suspendre mes habits, parce que nous n’avons pas de vestiaire; les autres auront une commode. Mais je me sers provisoirement d’une table de nuit, du genre de celles que vous m’avez montrées pour vos élèves. Les étagères d’en bas me servent à mettre mon linge. Je n’ai qu’une chaise dans ma cellule; je ne crois pas que vous en ayez davantage. Je n’ai pas de rideaux à ma fenêtre, mais j’ai des persiennes. Cela est indispensable dans le Midi, quand on n’a pas de volets. Si vous voulez savoir la forme de ma cellule, la voici. Je l’ai gribouillée sur ma lettre; je le fais un peu moins horriblement sur une feuille détachée.
Je m’arrête et j’avais une foule de choses à vous dire que j’oublie. A une autre fois, chère fille, et croyez-moi plus que jamais tout vôtre en Notre-Seigneur.
E.D'ALZ[ON].