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- Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 53.
- Orig.ms. Arch. Vat. 219, t. III, n° 102; Photoc. ACR, EC 404; LE GUILLOU, VI, n° 1047, pp. 797-799; *Pages d'Archives*, II, pp. 333-334.
- 1 CLERGE FRANCAIS
1 CONGREGATIONS ROMAINES
1 ENCYCLIQUE
1 EVEQUE
1 LIBERTE
1 ORDINATIONS
1 PHILOSOPHIE MODERNE
1 PRETRE
1 VOCATION SACERDOTALE
2 DELLA PORTA RODIANI, GIUSEPPE
2 FRANSONI, LUIGI
2 LAMBRUSCHINI, LUIGI
2 LEOPOLD II, TOSCANE
2 MAC CARTHY, CHARLES
2 MATTEI
2 MICARA, LODOVICO
2 ODESCALCHI, CARLO
2 OLIVIERI, MAURIZIO
2 OUTREMONT, COMTE D'
2 PATRIZI, COSTANTINO
2 PEDICINI, CARLO-MARIA
2 PLATON
2 ROOTHAAN, JEAN-PHILIPPE
2 ROZAVEN, JEAN-LOUIS DE
2 VENTURA, GIOACCHINO
2 ZURLA, PLACIDO
3 AUTRICHE
3 FRANCE
3 LANGUEDOC
3 MIDI
3 PROVENCE
3 ROME
3 RUSSIE - A MONSIEUR L'ABBE FELICITE DE LAMENNAIS
- LAMENNAIS
- Rome, 26 novembre 1834.
- 26 nov 1834
- Rome
- *Monsieur*
*Monsieur l'abbé F. de la Mennais*
*à la Chenaye, par Dinan*
*Ille-et-Vilaine*
Monsieur l’abbé,
Voilà près de trois mois que ni Charles ni moi n’avons reçu de vos nouvelles. Vous ne sauriez croire à quel point votre long silence nous inquiète, ne pouvant l’attribuer à aucune autre cause que l’infidélité de la poste, vous pouvez penser combien nous faisons de jugements téméraires chaque fois que le courrier arrive ici sans nous porter rien de vous. Pour moi, attendant de jour en jour de vos nouvelles, depuis un mois environ j’ai retardé de vous donner quelques détails qui pourront vous faire plaisir. Peut-être Charles vous les aura-t-il donnés déjà. Je crois pourtant n’avoir pas à donner une seconde édition de sa lettre. D’abord, ce que je crois pouvoir assurer c’est que les esprits s’adoucissent singulièrement à votre égard. Je m’étais permis dans ma dernière lettre de vous transcrire certains jugements sur votre manière d’agir d’après des lettres que j’avais reçues de France. Il me paraît qu’on ne voit pas la chose du même oeil. Ainsi il n’y a pas quinze jours que le Général des Jésuites a dit à un Belge, le comte d’Outremont, qu’il était très mécontent de l’Encyclique. En quel sens? C’est ce que j’ignore. On peut présumer cependant d’après certaines phrases que l’on s’aperçoit que l’Encyclique (qu’elle soit un acte doctrinal comme le veut le cardinal Micara, ou qu’elle ne le soit pas comme le veut V.) ne définit rien, ne condamne rien positivement et n’est qu’une concession faite aux clameurs des évêques et des Cabinets d’Autriche et de Russie. Le P. Rosaven lui-même affirma hier soir à une personne de qui je le tiens, que l’on ne pouvait pas dire qu’il y eût dans tout ce que vous dites rien de positivement condamné. La seule hérésie donc il vous accuse est dans le troisième livre de l’Imitation, où en traduisant vous faites dire au fidèle: la grâce me manquant, je ne puis rien faire de bien. Comme je n’ai pas dans ce moment votre traduction sous les yeux, je ne puis citer exactement le chapitre. Mais ce que je puis conclure, c’est qu’il faut avoir une furieuse envie de trouver des hérésies pour s’accrocher à un pareil passage. Quoique je ne connaisse cette observation que par une tierce personne, je vous la transmets afin que, si vous le jugez à propos, vous puissiez, dans une nouvelle édition calmer les scrupules de conscience du R. Père.
Le cardinal M., qui avait été pendant longtemps très effrayé de votre position, m’a plusieurs fois répété que vous ne deviez faire aucune offre de soumission parce qu’on exigerait, disait-il, des choses que vous auriez le droit de refuser. Selon lui, une explication indirecte serait ce qu’il y aurait de mieux, mais cette explication ne devrait venir que par accident, dans quelque nouvel ouvrage.
Le P. V. et le P. Ol. sont du même avis. Quant au système philosophique, ils persistent toujours à dire qu’il n’est nullement question de vous ou du moins qu’on n’avait en vue rien de ce que vous avez pu dire sur le sens commun. Le P. Ol. croit que dans les « Paroles d’un croyant » vous êtes tombé dans l’illusion de Platon qui voulait transporter sur la terre un état qui n’est possible que là où l’on sera affranchi des suites du péché et du désordre des passions.
Le grand duc de Toscane, sur la réclamation du Pape, a, dit-on, condamné à un mois de prison et 100 francs d’amende un libraire qui avait publié les Paroles d’un croyant. Ce libraire avait, dit-on, gagné cent mille francs* de la vente secrète de ce livre. On en a fait une édition à Rome, on croit que c’est avec la permission tacite du Maître du Sacré Palais.
Nous avons eu quelques changements par suite de la mort du card. Zurle. Odescalchi est cardinal vicaire, les autres mutations sont de peu d’importance. Franzoni est à la Propagande, Mattei chancelier, Pedicini préfet de la Cong. des Evêques et Réguliers. Lambruschini est aux Etudes. On annonce trois cardinaux nouveaux, Della Porta, Patrizzi, j’ai oublié le nom du troisième. On avait parlé du P. Ol., mais la franchise avec laquelle il s’exprime paraît lui avoir fait tort. Je vais passer tout le temps de l’Avent en retraite. Je me propose de prendre les Ordres Sacrés pendant ce temps-là. Je n’ignore pas tout ce qui m’attend une fois que je serai prêtre. Je sais que je sacrifie presque une liberté assez nécessaire aujourd’hui. J’ai réfléchi longtemps si je n’aurais pas plus de facilité pour faire le bien dont je suis capable en restant dans le monde comme simple catholique. Il me semble que Dieu me veut ailleurs et que c’est comme prêtre que je dois travailler. Une fois que j’ai cru voir clair dans mon avenir, je n’ai pas cru devoir retarder plus longtemps le bonheur de célébrer les saints Mystères. J’ai besoin, je le sens, d’un secours particulier pour voir sans trouble tout le bien que l’on pourrait faire dans l’Eglise de Jésus-Christ, et tout le mal qu’on y fait. Mes idées, qui, sur une foule de choses se sont modifiées et perfectionnées, je pense, par mon séjour à Rome, ont besoin pour ne pas m’entraîner dans certains excès de désespoir ou de confiance trop présomptueuse d’être fortifiées par les grâces attachées au Sacerdoce, il me semble que je jugerai mieux le monde et tout ce qui m’y paraît inexplicable quand je le considérerai du haut de l’autel. J’espère, M. l’abbé, que pendant ces jours si importants pour moi vous ne me refuserez pas un souvenir particulier dans vos prières.
Après Noël, d’après le conseil du P. Ventura et du card. M., je m’occuperai d’étudier un peu de droit canon. L’un et l’autre pensent que l’ignorance dans laquelle on est aujourd’hui en France sur de pareilles matières est cause d’une infinité d’abus.
Je vous supplie de ne pas nous laisser plus longtemps sans vos lettres, nous avons un besoin extrême de vos nouvelles. Des lettres que j’ai reçues du Midi de la France m’ont fait une vive peine à cause de la persuasion générale où l’on y est que vos principes sont condamnés. Une chose non moins affligeante, c’est l’insouciance avec laquelle on y traite les affaires de religion. Il paraît que l’apathie du clergé que vous aviez un moment secouée étend de nouveau une croûte épaisse sur les intelligences et que les Evêques ne font rien pour en prévenir les déplorables résultats. Je vous transmets ces détails que je tiens de bonne source et que je crois exacts, au moins pour le Languedoc et la Provence.
Adieu, M. l’abbé, je me recommande encore une fois à vos prières et suis à jamais tout à vous.
E.D'ALZON.