- DR12_329
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- DERAEDT, Lettres, vol.12 p. 329
- Publiée dans l'*Assomption*, 4e année, n°5 (1er mars 1878), p. 35; D'A., T.D. 33, n. 25, pp. 358-361.
- 1 ACADEMIE
1 ADORATION DU SAINT-SACREMENT
1 AGRICULTEURS
1 AMITIE
1 AMOUR DU PAPE
1 ANIMAUX
1 CARDINAL
1 CONVERSATIONS
1 DIPLOMATIE
1 ELECTION
1 EMOTIONS
1 ENERGIE
1 ETOLE
1 FEMMES
1 FILS DE L'EGLISE
1 FORCES PHYSIQUES
1 FRANCAIS
1 LANGUE
1 LIBERALISME CATHOLIQUE
1 NONCE
1 PAPE
1 PELERINAGES
1 PEUPLE
1 PRIERE POUR L'EGLISE
1 PRIERES POUR LES DEFUNTS
1 PRISONNIER
1 SOUTANE
1 SOUVERAIN PROFANE
1 THOMAS D'AQUIN
1 TOMBEAU
2 DAMAS, PAUL DE
2 GREGOIRE XVI
2 GUIBERT, JOSEPH-HIPPOLYTE
2 LEON I LE GRAND, SAINT
2 LEON II, SAINT
2 LEON III, SAINT
2 LEON IV, SAINT
2 LEON XIII
2 PECCI
2 PECCI, GIOACCHINO
2 PIE IX
2 PIERRE, SAINT
2 RICCI PARACCIANI, FRANCESCO
3 BELGIQUE
3 FRANCE
3 PARIS
3 PEROUSE
3 ROME, BASILIQUE SAINT-PIERRE
3 ROME, QUIRINAL
3 ROME, SEMINAIRE FRANCAIS - AUX ELEVES DU COLLEGE DE L'ASSOMPTION A NIMES
- COLLEGE de l'Assomption
- Rome, mercredi 20 février [1878].
- 20 feb 1878|21 feb 1878
- Rome
Nous avons un Pape. Il n’a fallu que trois scrutins. Des renseignements pris à l’ambassade, il résulte que le cardinal Pecci a eu, ce matin, 45 voix. Aussitôt les cardinaux qui ne l’avaient pas nommé ont demandé que l’on brulât les bulletins, et ont fait leur accession, de façon qu’il se trouve élu à l’unanimité. Le cardinal-diacre a annoncé ce grand événement vers une heure; à une heure et demie, le nouveau Pape a fait prévenir son frère, qui loge porte à porte avec le Séminaire français. J’étais chez M. de Damas, on est venu nous l’annoncer. J’ai couru prendre mon chapeau pour me rendre à Saint-Pierre. Tout Rome savait déjà que nous avions Léon XIII. La place Saint-Pierre n’avait que peu de monde quand je suis arrivé; mais peu à peu la foule allait croissant. Où se placer? Dehors? Mais si, continuant les traditions de Pie IX, Léon XIII veut rester prisonnier? J’ai pris mon parti, si le Pape se montre à la Loggia, évidemment il descendra dans Saint-Pierre, et recevra l’hommage des cardinaux, assis sur l’autel de la confession. En restant près de la confession, je le verrai parfaitement. Et s’il donne seulement sa bénédiction à l’intérieur, il viendra à la fenêtre qui fait face à la Loggia, et je le verrai encore. Je me suis bravement mis à prier jusqu’à ce que de fausses alertes m’ayant fait tourner la tête, j’ai vu la fenêtre de la Loggia rester fermée et la fenêtre intérieure s’ouvrir. J’avais bien jugé. Vers quatre heures et demie, la croix papale s’est montrée. Léon XIII, en soutane blanche, mozette rouge, étole rouge, calotte blanche, a donné sa bénédiction et s’est retiré.
Voilà sa ligne tracée. Pour bénir les chrétiens, il tourne littéralement le dos au Quirinal et se constitue prisonnier comme Pie IX. Etrange situation que celle d’un souverain qui dit: « Je veux être et je serai captif, jusqu’à ce que mon droit triomphe ».
Souvenez-vous que Léon XIII passait pour le cardinal le plus énergique du Sacré-Collège. En tout cas, personne ne l’était plus que lui. Pie IX mourant avait fait adresser au président de la jeunesse catholique un magnifique bref, où il foudroyait la conciliation. Léon XIII s’inspirera de ces sentiments ou plutôt de cette foi. O libéraux, qu’allez-vous devenir?
Les Piémontais, dans tous les cas, n’ont pas eu le droit d’entrer, et je les ai vus en masse sur les marches de la Colonnade, fusils en faisceau, mais peu en train. Sur la place de Saint-Pierre, jamais je n’ai vu pareille foule, et pourtant j’avais attendu un quart d’heure pour sortir. J’avais voulu réciter un Te Deum à la confession, adorer le Saint-Sacrement, prier pour le nouveau Pontife aux chapelles des quatre premiers saint Léon, Papes(1), à la chaire de Saint-Pierre, baiser les pieds du prince des apôtres, et finir par un De Profundis devant le tombeau de Pie IX, où l’on est toujours sûr de trouver de pauvres femmes et des paysans agenouillés et priant. Ces derniers adieux des pauvres à un Pontife qui les avait tant aimés, remplissent l’âme d’émotion.
Jeudi, 21 février.
Je rectifie ma correspondance d’hier. D’après ce que m’a dit un cardinal au sortir du Conclave, Léon XIII a été élu par quarante-quatre voix. Aussitôt les cardinaux qui n’avaient pas voté pour lui ont demandé une acclamation. On a refusé, pour maintenir aux yeux des puissances le caractère canonique de l’élection. Mais l’unanimité y a été, et l’on ne fera pas de protestation, parce que l’on connaît ce que serait la réponse de tous.
La sfumata eut lieu pour donner le change aux Buzzurri(2), qui voulaient crier: fuori il Papa: que le Pape sorte! En effet, au moment de la proclamation, qui eut lieu à la Loggia de Saint-Pierre, il n’y avait pas vingt personnes sur la place. L’on accourut pourtant. Le peuple demandait où se montrerait le Pape, et tous les vrais fils de S. Pierre disaient: « Il ne peut se montrer à la Loggia ». L’on a entendu des femmes romaines crier: « Era bisogno d’un leone ». On avait besoin d’un lion ».
Le cardinal Pecci a été nonce en Belgique. Fait archevêque de Pérouse par Grégoire XVI, créé cardinal par Pie IX, il a tenu tête aux Piémontais en trois grosses affaires, mais avec des formes. Sa ligne sera inébranlable. Il s’était montré trop raide comme camerlingue; mais pour détourner l’idée de l’élire. Il fit à Mgr Ricci(3) le majordome, qui avait laissé monter des dames à la chambre mortuaire de Pie IX, une scène telle que le pauvre homme dut se mettre au lit d’émotion. Sachant cela, le camerlingue alla lui faire une visite. On prétend que quelques abus, tolérés par le grand âge de Pie IX, disparaîtront vite. Cela ne fait pas que Léon XIII soit parfait. Il a donné bien souvent l’hospitalité à des Français. Un de mes amis qui passa quelque temps chez lui, fut récréé par une séance de l’Académie de S. Thomas, qu’il a fondée à Pérouse.
Léon XIII est assez grand, maigre; il a une physionomie très fine. La première fois que je le vis, il y a dix jours, il était dans son antichambre à causer avec des prêtres; il nous fit entrer dans son salon, nous reçut debout, mais très aimablement. La seconde fois, dimanche, il fit attendre plusieurs cardinaux pour donner audience à la députation des pèlerins français. Nous causâmes quelques minutes, et c’est alors qu’il nous fit en italien l’allocution dont je vous ai parlé.
L’archevêque de Paris nous disait, hier soir, que quand il était allé à l’adoration (c’est le terme employé), après lui avoir baisé le pied, la main, et l’avoir embrassé, il avait demandé une bénédiction pour Paris, lui et la France. Le Pape lui avait parlé de la France avec une grande affection. Prions et espérons. Le peuple chrétien de Rome est dans la joie. Et dire qu’au moment où je vous écris, il n’y a pas quinze jours que Pie IX vivait encore. J’espère bien que les Français vont arriver et que nous aurons une caravane digne de notre foi.
2. A la populace.
3. Francesco Ricci Paracciani, un des prélats palatins.