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- DERAEDT, Lettres, vol.12 p. 327
- Publiée dans l'*Assomption*, 4e année, n°5 (1er mars 1878), p. 35; D'A., T.D. 33, n. 24, pp. 355-358.
- 1 ACTES PONTIFICAUX
1 CARDINAL
1 CATHOLIQUE
1 CONCILE DU VATICAN
1 CONGREGATIONS ROMAINES
1 DEFENSE DE L'EGLISE
1 ELECTION
1 ENNEMIS DE L'EGLISE
1 ESPAGNOLS
1 FORTUNE
1 FRANCAIS
1 GOUVERNEMENT
1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
1 INTERETS
1 ITALIENS
1 LIBERALISME CATHOLIQUE
1 MODERES
1 MORT
1 OPPORTUNISTES
1 PAPE
1 PELERINAGES
1 PEUPLE
1 POLITIQUE
1 PRISONNIER
1 REPUBLIQUE ADVERSAIRE
1 RUSE
1 SAINT-ESPRIT
1 SAINT-SIEGE
1 UNION DE L'EGLISE ET DE L'ETAT
1 VIOLENCE
2 BILIO, LUIGI
2 HUMBERT I
2 MORAES CARDOSO, IGNACIO
2 SIMEONI, GIOVANNI
2 VICTOR-EMMANUEL III
3 AUTRICHE-HONGRIE
3 ESPAGNE
3 FRANCE
3 ITALIE
3 LISBONNE
3 PIEMONT
3 PORTUGAL
3 ROME
3 ROME, BASILIQUE SAINT-PIERRE
3 ROME, CAPITOLE
3 ROME, CHATEAU SAINT-ANGE
3 ROME, PALAIS DU LATRAN - AUX ELEVES DU COLLEGE DE L'ASSOMPTION A NIMES
- COLLEGE de l'Assomption
- Rome, 20 février [1878].
- 20 feb 1878
- Rome
Depuis avant-hier soir, les cardinaux sont enfermés; plusieurs personnes peuvent aller les visiter. J’ai assez d’imagination, connaissant le Vatican comme je le connais, pour me priver du spectacle de ces 64 cachots où, sans feu, sans soleil, ces porporati vont s’enfermer.
Les hypothèses se portent sur cinq noms; comme ils sont tous excellents, on peut présumer que l’élu futur sera bien choisi. Les cardinaux de la conciliation sont, dit-on, neuf bien comptés. Il faudra 40 à 41 voix pour l’élection. Les conciliants n’iront jamais à 20. Dans ce cas, les libéraux perdent toute espérance.
On est profondément convaincu que peut-être jamais le Sacré-Collège n’a été rempli d’hommes aussi désintéressés. La question personnelle sera vite tranchée, et j’en connais au moins quatre, parmi ceux qui ont des chances, qui seront les premiers à reporter leurs voix sur celui de leurs collègues qui en auraient plus qu’eux.
Reste l’exclusive. La France, paraît-il, y renonce et elle fait bien(1). Quel est aujourd’hui le cardinal français que son gouvernement oserait charger de l’exclusive? Elle s’exerçait ainsi. Quand le cardinal ayant le décret de son gouvernement s’apercevait qu’un candidat était sur le point d’être nommé, il déclarait que son gouvernement s’opposait à cette élection. Mais il fallait que l’exclusive fût donnée avant que l’élection n’eût eu lieu, et avant le scrutin où la majorité eût été acquise, au candidat qu’on voulait exclure.
Les cardinaux espagnols ne se chargeront pas, non plus, de cet odieux privilège. Peut-être l’Espagne repousserait-elle le cardinal Simeoni; mais d’une part, lui en serait ravi, de l’autre, comme c’est le plus doux des cinq, l’Espagne n’y gagnerait guère. On dit que l’Autriche veut exclure le cardinal Bilio, rédacteur du Syllabus. Je crois qu’il serait exclu surtout par les Romains, parce qu’il est Piémontais. L’Autriche pourrait bien avoir un cardinal qui, au concile, a été inopportuniste; et, en effet, j’apprends à l’instant le nom du cardinal à qui l’Autriche aurait donné cette mission.
Hier est arrivé l’archevêque de Lisbonne. Ce pauvre petit Portugal vient se mêler d’exclure quelqu’un. Mais il faudrait exclure 50 membres du Sacré-Collège, pour entrer dans la conciliation qu’il réclame; ce qui n’est pas facile.
Avez-vous jamais vu la sfumata? Et qu’est-ce donc que la sfumata? C’est la fumée qui s’échappe d’une petite cheminée où se brûlent les bulletins, quand le Pape n’a pas été élu. En général le scrutin ne durait qu’une heure; il finissait à midi. Commencé à cinq heures, le soir, il finissait à six. Comme il y a, cette fois, beaucoup plus de cardinaux (ils sont déjà soixante), le scrutin sera beaucoup plus long.
Hier il finit, le matin, à une heure et quart; le soir, il est probable que l’on n’a pu rien voir. J’étais allé à Saint-Pierre sans me douter de rien. La place était inondée de gens tournés vers le tuyau du poële. Mais ni la cloche du Capitole ne sonnera, ni le canon du fort Saint-Ange ne tonnera. Le Piémont l’eût accordé, on ne le lui demandera pas.
Je finis par deux réflexions. La première, que le gouvernement piémontais est bien plus préoccupé qu’on ne pourrait le croire de ce qui va arriver. Comme partout, il y a là deux courants, les modérés et les violents. Les modérés sont, en ce moment, de beaucoup les plus dangereux. Les autres, les pressés, amèneraient une catastrophe; mais ce serait court. Or que vont faire les gouvernants? Ils sont poussés, mais je vous assure, ils ont peur. Qu’Humbert vienne à mourir, ce qui est très possible, avec un enfant de sept ans pour roi(2), la république serait bientôt faite chez eux. Et puis, il y aura peut-être du sang, mais pas beaucoup, l’Italien a peur du sang. Après quoi la république sera flambée. Un des cardinaux proposés pour la papauté me disait: « Demandez à Dieu que la révolution fasse des imprudences ».
Je ne puis croire qu’elle en fasse. Ainsi je crois bien que quelques-uns ont rêvé de chasser le Pape futur du Vatican et de le reléguer au palais de Latran. Mais les habiles n’y consentiraient pas. Outre que le palais de Latran est au milieu des fièvres pendant l’été, rien d’incommode comme cette habitation; puis il faudrait violer la loi des garanties(3); puis le Pape pourrait bien, en pareil cas, quitter Rome.
Le Sacré-Collège n’a pas voulu quitter Rome, parce que le gouvernement s’est empressé de garantir la liberté du Conclave, et que le Pape, élu hors de Rome, en exilerait la papauté peut-être pour cent ans. Mais s’il est avéré que la prison est par trop insalubre et qu’on y mette le Pape pour l’y faire mourir, eh! bien, il secouera la poussière de ses pieds et ira ailleurs. Et voilà ce que les Romains ne veulent pas.
Le Pape parti, que devient Rome? L’escompte, qui est à 8, monterait vite au 15, au 20. Il faut bien savoir que l’or en Italie est catholique. Sans les pèlerins catholiques, croyez que l’or serait rare dans ce pays de félicité constitutionnelle. Les Piémontais veulent de l’or, ils veulent les pèlerins qui l’apportent et le Pape qui le fait apporter. Comprenez-vous? Et comprenez-vous pourquoi, malgré certaines fureurs insensées, le gouvernement, non moins haineux mais plus habile, sent qu’il faut que le Pape soit en cage, mais dans une cage tolérable.
A bientôt. Un cardinal français disait que le Conclave durerait trois semaines. Eh! mon Dieu! une moitié du Sacré-Collège aura le temps d’enterrer l’autre! Enfin, nous verrons; moi, j’attends le Pape avant la fin de la semaine, mais je ne suis pas le Saint-Esprit.
2. Le futur Victor-Emmanuel III, né en 1869.
3. Loi du 13 mai 1871 promulguée par l'Italie et garantissant au pape la liberté de son ministère spirituel.