DERAEDT, Lettres, vol.10 , p. 302

Mademoiselle,

C’est par le préfet de Nîmes(1), chaud partisan de l’Univers que j’ai appris la suspension(2) du journal. Plus ils en feront, lui ai-je écrit, plus ils finiront vite.

Ici l’on court à la démagogie. L’article de votre frère était une victoire magnifique pour Don Carlos. La suspension la rend double. Je n’écris pas à votre frère. Il est trop occupé, mais vous lui direz bien qu’il n’a pas trop à se fâcher. C’est lui qui a vaincu et c’est Mac Mahon(3) qui est vaincu. Hélas la France est elle aussi vaincue avec son septainnaire(4)!

Me permettez-vous une humble observation? Qu’on soit sobre à l’Univers, d’éloges sur Mgr Mermillod. Je ne le crois pas coupable, à Dieu ne plaise, mais d’une imprudence effrénée avec quelques personnes. J’ai échangé avec lui une correspondance que je ne provoquais pas et où il n’a pas été franc. Nos diplomates même évêques à force de dissimuler la vérité la travestissent très prétendument et pour eux(5).

Bien affectueusement et respectueusement vôtre en N[otre]-S[eigneur].

E.D'ALZON.

1. M. de Champvans, de tendance conservatrice, nommé par un décret le 28 mars 1871 en remplacement de M. Laget, du parti républicain, démissionnaire. M. de Champvans sera mis en disponibilité après les transformations politiques et constitutionnelles de 1876.
2. Dans l'histoire mouvementée du journal, supprimé le 29 janvier 1860 (v. *Lettres* 4955 et 4956), autorisé à nouveau à reparaître le 16 avril 1867, le mois de septembre 1874 marque une nouvelle pierre noire: seconde suspension, cette fois de 15 jours, demandée par le ministère français et exécutée dès le 7 septembre 1874 pour avoir publié la veille un article incriminant l'attitude du gouvernement français à l'égard des affaires espagnoles aux prises entre républicains et carlistes.
3. Marie-Edme Patrice Maurice de Mac-Mahon (1808-1893) qui fit une longue carrière militaire sous la Monarchie de Juillet et le Second Empire avant d'être élu président le 24 mai 1873. On sait qu'après le vote des lois constitutionnelles de 1875 commença un conflit d'interprétation entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif (crise du 16 mai 1877). Les élections sénatoriales du 5 janvier 1879 amenant une majorité républicaine, Mac-Mahon préfère donner sa démission devant le Conseil des Ministres et le Parlement plutôt qu'être désavoué (30 janvier 1879). Jules Grévy inaugure la République républicaine. La période "l'Ordre moral" est tombée.
4. Allusion au septennat, durée du mandat présidentiel de l'époque.
5. Voir *Lettre* 5025, n.3. - Mgr Gaspard Mermillod (1824-1892) est depuis 1864 évêque d'Hébron, auxiliaire de Mgr Marilley évêque de Lausanne et Genève, avant d'être nommé par un bref de Pie IX du 6 janvier 1873 vicaire apostolique de Genève, détachée de Lausanne. Or la constitution helvétique interdit l'érection de tout nouveau diocèse. Mgr Mermillod est arrêté, expulsé à Ferney-Voltaire le 11 février 1873. Cette situation va se prolonger une dizaine d'années (v. *Lettre* 4809, n.1).
6. Les notes sont de Jean-Paul Périer-Muzet.