- ES-0481
- MEDITATIONS
- VINGTIEME MEDITATION L'EDUCATION
- Sage, ECRITS SPIRITUELS
- 1 ADOLESCENTS
1 AMOUR DE JESUS-CHRIST POUR LES HOMMES
1 AMOUR DES ELEVES
1 AMOUR DU CHRIST
1 AMOUR-PROPRE
1 APOSTOLAT
1 AUGUSTIN
1 COLLEGES
1 CONSCIENCE MORALE
1 CORRUPTION
1 DESESPOIR
1 DEVOIR
1 DISPOSITIONS AU PECHE
1 DIVIN MAITRE
1 EDUCATION
1 EDUCATION EN FAMILLE
1 EDUCATION RELIGIEUSE
1 ELEVES
1 ENFANTS DES ECOLES
1 ESPRIT DE FRANCHISE A L'ASSOMPTION
1 ESPRIT DE L'ASSOMPTION
1 ESPRIT DE L'EDUCATION
1 ESPRIT DESINTERESSE A L'ASSOMPTION
1 ESPRIT SURNATUREL A L'ASSOMPTION
1 ETUDE DES CARACTERES
1 FORMATION DE JESUS CHRIST DANS L'AME
1 FORMATION DES AMES DES ELEVES
1 FORMATION DES JEUNES AUX VERTUS
1 INTELLIGENCE
1 JESUS-CHRIST MODELE
1 JEUNESSE
1 LEGERETE
1 MAITRES
1 MAITRES CHRETIENS
1 MAITRISE DE SOI
1 MOEURS DE LA FAMILLE
1 PATIENCE
1 PATIENCE DE JESUS-CHRIST
1 PECHE ORIGINEL
1 PERSEVERANCE
1 PREMIERE COMMUNION
1 RENONCEMENT
1 REPRESSION DES DEFAUTS DES JEUNES
1 SIMPLICITE
1 SOUFFRANCE APOSTOLIQUE
1 SURVEILLANTS
1 TRIOMPHE
1 VIGILANCE
1 ZELE APOSTOLIQUE
Instaurare omnia in Christo; il faut tout restaurer en Jesus-Christ.]] (Eph. II, 10).
Il ne suffit pas d’enseigner. Il faut élever; et l’éducation est une tâche bien autrement difficile que l’enseignement.
Pour apporter quelque lumière dans cette immense matière, je poserai trois questions principales autour desquelles les autres, je l’espère, viendront se grouper.
l. — Quelles sont les conditions d’un bon éducateur ?
Un maître chrétien digne de ce nom devrait avoir toutes les vertus, et les enseigner encore plus par ses exemples que par ses paroles. Toutefois, j’en exigerai de lui quatre principales.
1° Il doit être patient. Se livrer à l’éducation et ne pas s’attendre à tous les déboires, c’est la plus profonde des illusions: [[ O generatio incredula et perversa, usquequo patiar vos? O génération incrédule et perverse, jusques à quand vous souffrirai-je? ]] s’écriait le Maître des maîtres, Notre-Seigneur. (Matth. XVII, 16). Oui, il faut de la patience, et beaucoup de patience, et c’est surtout à l’éducation que l’on doit appliquer la parole de saint Jacques : [[ Patientia autem opus perfectum habet; la patience produit seule les oeuvres parfaites ]]. (Jac. I, 4). Ce n’est qu’après avoir attendu bien longtemps que le jardinier voit pousser sur ses plates-bandes certaines graines. Elles veulent être attendues. Il en est de même des enfants. Ils ne poussent quelquefois que fort tard et ce ne sont pas toujours ceux qui donnent les moins précieux résultats.
Mais où la patience est nécessaire, c’est en face du mélange de malice et de légèreté qui forme la nature de l’enfant. Il a bon coeur, mais il est léger à désespérer par son inattention. Est-il sérieux, suivez ses petits complots, son bonheur de saisir le faible du maître, sans compter quelquefois je ne sais quel calcul méchant dont il ne se rend pas toujours raison, dont il a à peine conscience, et qui n’en déroute pas moins ceux qui sont chargés de lui. Ah! demandons la patience quand nous rencontrons des êtres pareils. Ce ne sont pas toujours les plus mauvais, et l’on en a vu devenir d’autant meilleurs qu’ils ont fini par comprendre quelle vertu il avait fallu pour les supporter.
2° Il doit être intelligent. Le maître inintelligent est exposé à tous les malheurs.
Personne ne juge son maître comme l’élève. Le maître est pour lui l’objet perpétuel d’une étude peu bienveillante, et, s’il manque d’intelligence, il peut s’attendre à tous les échecs.
Il n’a qu’un remède à ce mal: c’est une décuple sainteté. Par là, il inspirera de l’estime, et ses défauts se perdront dans la vénération que quelquefois il inspirera; je dis quelquefois, car on pourrait bien aussi s’y tromper.
Je ne dis pas qu’il faille un génie: le génie perdrait patience; mais il faut un homme de tact et d’un très grand bon sens, qui désarme l’irritation des élèves par son sang-froid, car bien souvent la lutte est toute là. L’enfant cherche à aiguillonner le maître, comme on aiguillonne un taureau pour le rendre furieux. Quand le maître, par trop agacé, n’est plus maître de lui- même, c’est l’enfant qui le devient; il a vaincu, et sa joie intime d’avoir été le plus fort lui fait plus d’une fois compter pour rien toutes les punitions qu’on lui infligera.
Bien souvent le silence est l’arme la plus puissante du maître. L’élève, qui ne peut pas saisir la pensée qu’on poursuit, se dépite, et, après s’être débattu, se soumet.
L’intelligence du maître doit consister encore à donner de la valeur à ce qui en a, et à arrêter à temps un abus à son origine; mais aussi à ne pas se scandaliser de ce qui, en soi, est un rien : ce rien, accepté comme sans importance, finit en effet par n’avoir aucune valeur.
C’est là la pierre de touche de certains maîtres qui croient tout perdu parce qu’on a semblé blesser leur majesté sacro-sainte. Un peu d’impersonnalité, un bon marché de sa personne fait avec esprit éviterait bien des chocs, bien des rancunes, source quelquefois de mesures de l’autorité à la fois graves et injustes. Les supérieurs doivent soutenir les maîtres, et les maîtres, hélas! par sotte susceptibilité se rendent trop souvent bien insupportables!
Où sera le remède? Dans l’intelligence qu’ils n’ont pas. Alors il n’y a plus d’autre remède que de les changer, sans donner trop raison aux jeunes révoltés. D’autant plus que, dans une foule de circonstances, si je puis me servir d’une expression un peu familière, le meilleur moyen de rendre les élèves bons enfants, c’est de l’être soi-même non pas au point de les laisser prendre des libertés dont ils abuseraient vite, mais au point de leur prouver sans malice qu’on les connaît et qu’on ne les redoute pas.
3° Le maître doit être consciencieux. Le point capital sera de former la conscience des élèves, et l’on ne peut dire le mal que fait à ces jeunes natures un maître qui fléchit sous le rapport de la conscience et de l’honneur chrétien.
La première conséquence tirée par l’élève est de conclure, souvent à tort, que son maître est sans foi. Et que peut, dans un établissement chrétien, un maître à la foi de qui l’on ne croit pas? C’est souvent la ruine d’une maison. Je n’ai vu, pendant près de quarante ans, qu’un seul maître, hypocrite et mauvais prêtre, sur lequel les élèves se soient trompés. Combien de fois ne prédisaient-ils pas longtemps à l’avance que tel homme pris à l’essai ne pourrait pas rester, et ils se trouvaient avoir porté un jugement très exact, avant que celui des supérieurs ne fût fixé !
4° Le maître chrétien doit être un homme persévérant. J’ai dit que, dans les meilleurs établissements, il se forme entre élèves et maîtres une sorte de lutte permanente; si le maître y met de la persévérance, sans colère, avec une pleine possession de lui-même, qui peut dire les victoires qu’il obtiendra?
L’enfant est en général guérissable, pourvu qu’on sache le traiter convenablement; le tout consiste dans un courage persévérant. C’est ce dont manquent quelquefois les jeunes maîtres, car eux aussi ont leurs défauts, et chez eux le découragement, quand ils échouent, est en proportion de leur amour-propre.
Ils n’ont pas réussi, donc il n’y a rien à faire. Raisonnement très faux. Ils doivent conclure que, n’ayant pas réussi, ils doivent faire mieux, et c’est à ce point de vue que l’expérience est pour eux un don inappréciable; mais l’expérience vient tard et est souvent le résultat d’essais mal réussis.
Enfin, le maître chrétien doit être animé d’un vrai zèle. La tâche est rude, mais quels fruits ne lui sont pas promis! Ce zèle, il doit le puiser dans l’amour de Notre-Seigneur pour les âmes; il doit les aimer comme le Sauveur les a aimées lui-même. Qu’il ne se fasse donc pas illusion: une âme attirée au bien produira plus tard au centuple, parce qu’elle aura été préparée chrétiennement, parce qu’on lui aura évité les chutes, parce qu’on l’aura relevée au besoin, parce qu’elle aura trouvé un encouragement, au moment favorable. Ses incertitudes se seront fixées, et elle sera entrée sérieusement dans la voie du bien pour ne plus en sortir. Tel est le résultat du zèle patient, intelligent, consciencieux, persévérant, d’un maître chrétien.
Parlons maintenant des élèves.
II. — Qui doit-être élevé ?
A cette question, il faut répondre: une masse turbulente d’enfants de tout âge et de tout caractère de toute capacité, sur lesquels resplendit, du plus lugubre éclat, l’empreinte du péché originel. Je ne dis pas que, chez plusieurs, le baptême n’ait pas eu des effets plus marqués, mais grande serait la folie de croire que, sous ces figures roses, ces yeux limpides, ces tenues innocentes, la corruption, soyons plus exacts, la pente à la corruption, ne se cache pas bien souvent.
C’est fort triste, mais c’est ainsi. Il est bien inutile de gémir et de se croiser les bras; il faut mettre la main à l’oeuvre et défricher ce champ d’épines.
Commençons par les classer par âge ; une partie du travail sera faite : les petits, les moyens, les grands.
Les petits sont plus ingénus, ont une foi plus naïve; ils ont aussi des défauts plus dissimulés, selon la première éducation de la famille; ils sont moins maîtres d’eux-mêmes, on peut les gouverner par la pensée surnaturelle de la Première Communion, quand hélas! les parents ne s’appliquent pas eux-mêmes à les pervertir.
Les moyens sont à l’âge critique et disgracieux. C’est en général l’époque de la crise du tempérament, il faut exercer une vigilance attentive, surveiller tout, les conversations, les lectures, les jeux, les habitudes. Peut-être ne faut-il pas conclure trop rapidement à une perversité consommée, d’une lutte intime, violente, dont un jeune maître ne doit pas toujours se mêler, mais qu’il doit surveiller avec la plus grande attention pour en faire un rapport éclairé à ses supérieurs.
Enfin, les grands ont besoin d’être traités à part. Ce ne sont plus des enfants, ce ne sont pas encore des hommes. Il faut les aider à entrer dans la vie, il faut avec eux de l’autorité, il faut aussi de la surveillance, il faut peut-être encore plus de confiance; la loyauté les touche surtout, et peut-être est-ce là le grand moyen de les atteindre.
Toutefois, il y a avec eux diverses sortes d’actions à exercer. Une action sur tous, et elle est utile pour communiquer l’esprit de la maison. Qu’est cet esprit? On le sent plus qu’on ne le définit. C’est ce qui rend un établissement sui generis, c’est ce qui fait que c’est tel établissement et pas un autre.
On a donné quelques caractères spéciaux à l’Assomption : le sentiment du devoir, la loyauté et la franchise, la disposition au sacrifice et au désintéressement, l’esprit surnaturel. C’est cela, et autre chose encore qui se sent à chaque instant, sans qu’on puisse le préciser d’une façon mathématique, comme l’on connaît les traits d’une figure sans qu’on les ait mesurés au compas. Et pourtant, la formation de cet esprit général est des plus importantes, parce que, à l’aide de cet esprit, les élèves font corps, s’unissent, s’aiment, s’appuient et poursuivent, à leur entrée dans la vie, un but commun avec plus d’intelligence.
On peut aussi agir sur les enfants par groupes; soit selon les classes, et c’est l’affaire du professeur; soit selon les études ou divisions formées de plusieurs classes, c’est l’affaire du surveillant, et peut-être l’action la plus importante, si le surveillant est capable; soit dans les réunions, et c’est l’affaire du maître qui dirige. Il y a, en tout cela, une direction qui se communique, comme à l’insu de celui qui la reçoit, et qui, à coup sûr, est des plus précieuses.
Enfin il y a l’action intime, qui regarde plus les supérieurs, car il faut une grande connaissance du coeur humain pour ne pas s’exposer à bien des mécomptes. Et dans combien de circonstances le zèle le plus désintéressé ne vient-il pas échouer devant je ne sais quelles difficultés qui naissent de toutes parts! C’est le sang qui bouillonne, c’est l’imagination qui rêve, ce sont les passions qui s’embrasent, c’est une ambition inconsciente qui emporte, c’est l’amour du bien-être qui captive dans ses molles chaînes et qui ôte la notion du dévouement.
Pourtant, il ne faut pas se décourager. L’important est de poursuivre sa tâche, tout en comptant sur les désenchantements, et en étant prêt à reconnaître qu’en bien des circonstances on a travaillé sans fruit, qu’on a beaucoup semé et très peu récolté: la nature des enfants et des jeunes gens étant ainsi faite que, au moment où l’on y pense le moins, l’indépendance éclate et les défauts triomphent. Mais, direz-vous, c’est à décourager! Nullement. Depuis que l’Eglise est fondée, que de découragements de cette sorte n’ont pas eu à subir les ouvriers apostoliques! Quels fruits a semblé recueillir Jésus-Christ! Il a été le grand signe de contradiction toute sa vie; pris et abandonné par les foules, on veut le faire roi, puis on complote sa mort; au moment du calvaire, il est laissé seul par les siens; il ressuscite, on ne croit pas à sa résurrection; cinq cents témoins le voient monter au ciel, un certain nombre continue à douter. Pourtant, l’Eglise a été fondée et les portes du ciel ont été ouvertes par Jesus-Christ, vainqueur de l’enfer.
Telle est l’histoire d’un collège. Le collège est l’abrégé de la société divine, il a les mêmes successions ou vicissitudes; seulement, l’immortalité ne lui a pas été promise. Et c’est pourquoi il faut veiller avec un plus grand zèle à sa conservation et au côté divin de ses éléments.
III. — Quel modèle à réaliser doit prendre le maître chrétien?
Pas d’autre que Jésus-Christ: [[ Instaurare omnia in Christo; il faut tout restaurer en Jésus-Christ. ]] (Eph. II, 10). Restaurer tous les enfants en Jésus-Christ et pour cela les reformer sur ce type divin.
Tous les enfants ne le comprennent pas d’abord, et cela n’a rien d’extraordinaire. Où sont les familles chrétiennes qui ne mettent dans la mémoire et au coeur de leurs enfants que des principes surnaturels, qui, dès les premiers épanouissements de leur raison, les arrosent avec les grandes et fécondes eaux de la vie divine? Ah! qu’il est rare aujourd’hui le nombre des enfants dont la première formation a été pure, innocente, forte, caractérisée par l’horreur du péché,ardente pour le bien; à qui l’on a parlé du ciel et de ses espérances, à qui l’on a proposé les saints comme modèles de la vraie grandeur et de la vraie beauté morale.
Ce que les parents n’ont pas fait, les maîtres chrétiens doivent le faire, surtout auprès des enfants confiés pour la Première Communion. Au nom de cette première visite de leur Dieu au fond de leurs âmes, comme on peut le faire connaître et aimer, comme on peut inspirer l’horreur de toute souillure, comme on peut faire perdre des habitudes coupables et faire rompre avec un passé que la vigilance des parents n’a pas suffisamment protégé de toute atteinte impure! Comme, après cette action, on peut encore parler de Jésus-Christ et des vertus dont il nous donne l’exemple! Tous les détails de sa vie peuvent être commentés, toutes ses perfections méditées, tous ses sacrifices inspirés.
Certes, le tableau à présenter à ces jeunes âmes est quelque peu différent de la vertu païenne et des types de cette vertu qui, si souvent, n’était qu’un immense mensonge jeté comme un manteau sur une immense corruption. Ah! faisons connaître Jésus-Christ par toutes nos paroles, écho des siennes, par toute notre vie, miroir de sa vie.
Heureux le maître qui sans cesse, semblable au statuaire, a un modèle, et sur son marbre reproduit, avec le ciseau, les traits d’une belle figure préparée avec ses doigts! Heureux le maître qui sculpte Jésus-Christ dans l’âme des enfants qui lui sont confiés, quelque dureté que le marbre lui oppose! Il sait que la résistance sera en raison de la stabilité et de la durée du type réalisé. Voilà un élève qui a donné une peine très grande, son opposition a pris longtemps toutes les formes; mais un jour la grâce a agi, et la difficulté de pénétrer jusqu’à son coeur a été la mesure de l’énergie de ses résolutions. Cela ne se passe pas toujours ainsi, mais on en a des exemples, et saint Augustin, notre Patriarche, est un des plus frappants.
Poursuivons donc notre oeuvre; parlons de Jésus-Christ, faisons aimer Jésus- Christ, faisons imiter Jésus-Christ: là sera la séparation entre l’éducation chrétienne et celle qui ne l’est pas. Préparons, malgré les dangers qui menacent, des copies vivantes de Jésus-Christ, et Jésus-Christ, multiplié ainsi, si je puis parler de la sorte, après avoir triomphé dans l’intimité des âmes refaites à son image, triomphera publiquement dans la société régénérée par sa grâce et l’action des maîtres chrétiens.